vendredi 23 octobre 2020
jeudi 22 octobre 2020
Histoires enfantines
Nous aimons et croyons
Des histoires enfantines
Nos mythes sont puérils
Nous désirons être
réconciliés
Avec l’ordre des choses
Nous aimons les fins
heureuses
Même si elles sont
absurdes
Contredisent le sens
commun
Nous aimons et croyons
Des histoires enfantines
Nous réprouvons le subtil
Tout ce qui sort des
sentiers battus
Tout ce qui exigerait un
effort
Nous mettons à l’index
Tout ce qui est libre
Tout ce qui est complexe
Nous ne voulons pas
penser
Nous sommes les apôtres
de la banalité
mardi 20 octobre 2020
Généalogie du fanatisme (Cioran, extrait)
En elle-même toute idée est neutre, ou devrait l’être ; mais l’homme l’anime, y projette ses flammes et ses démences ; impure, transformée en croyance, elle s’insère dans le temps, prend figure d’événement : le passage de la logique à l’épilepsie est consommé… Ainsi naissent les idéologies, les doctrines, et les farces sanglantes.
Idolâtres
par instinct, nous convertissons en inconditionné les objets de nos songes et
de nos intérêts. L’histoire n’est qu’un défilé de faux Absolus, une succession
de temples élevés à des prétextes, un avilissement de l’esprit devant l’Improbable.
Lors même qu’il s’éloigne de la religion, l’homme y demeure assujetti ; s’épuisant
à forger des simulacres de dieux, il les adopte ensuite fiévreusement :
son besoin de fiction, de mythologie triomphe de l’évidence et du ridicule. Sa
puissance d’adorer est responsable de tous ses crimes : celui qui aime indûment
un dieu, contraint les autres à l’aimer, en attendant de les exterminer s’ils s’y
refusent. Point d’intolérance, d’intransigeance idéologique ou de prosélytisme qui
ne révèlent le fond bestial de l’enthousiasme. Que l’homme perde sa faculté
d’indifférence : il devient assassin virtuel ; qu’il transforme son
idée en dieu : les conséquences en sont incalculables. On ne tue qu’au
nom d’un dieu ou de ses contrefaçons : les excès suscités par la déesse
Raison, par l’idée de nation, de classe ou de race sont parents de ceux de l’Inquisition ou de la Réforme. Les époques de ferveur excellent en exploits sanguinaires :
sainte Thérèse ne pouvait qu’être contemporaine des autodafés, et Luther du
massacre des paysans. Dans les crises mystiques, les gémissements des victimes
sont parallèles aux gémissements de l’extase… Gibets, cachots, bagnes ne prospèrent
qu’à l’ombre d’une foi, – de ce besoin de croire qui a infesté l’esprit pour
jamais. Le diable paraît bien pâle auprès de celui qui dispose d’une
vérité, de sa vérité. Nous sommes injustes à l’endroit des Nérons, des
Tibères : ils n’inventèrent point le concept d’hérétique : ils
ne furent que rêveurs dégénérés se divertissant aux massacres. Les vrais criminels
sont ceux qui établissent une orthodoxie sur le plan religieux ou politique,
qui distinguent entre le fidèle et le schismatique.
« Généalogie
du fanatisme » est le texte qui ouvre Précis de décomposition
(1949). Dans son dernier livre, Aveux et anathèmes (1987), Cioran écrira
comme en écho : « Tant qu’il y aura encore un seul dieu debout,
la tâche de l’homme ne sera pas finie. ». Frédéric Perrot
![]() |
Cioran |
samedi 17 octobre 2020
Gravité terrestre
Est-ce gravité terrestre
Si tant d’hommes sur
cette planète
S’agenouillent pour la
prière
Vénèrent des breloques
des fétiches
Les Grecs anciens
Eurent du moins la sagesse
De donner à leurs dieux
Tous leurs vices
Les trois monothéismes
C’est une toute autre
histoire
Tout y parait grossier
archaïque
À commencer par leurs
fameux livres…
Est-ce gravité terrestre
atavisme
Si tant d’idées fausses
circulent dans tant de têtes
Si la superstition
l’ignorance et des symboles obsolètes
L’emportent sur le
raisonnement
Est-ce gravité terrestre
Si les religions
résistent aux démentis de la science
Si l’obscurantisme et le
fanatisme
Portent partout la mort
hideuse
Est-ce gravité terrestre
signe des temps
Si l’on n’ose plus guère
Se réclamer des
philosophes
Des Lumières
Est-ce gravité terrestre
Si l’on préfère se taire
Par instinct de survie
Pessimisme prudent
vendredi 16 octobre 2020
Le tramway pour nulle part
jeudi 15 octobre 2020
Xanthippe
Selon Xénophon
Xanthippe
La jeune épouse de Socrate
Était une femme acariâtre
Cette version de l’histoire
Est peut-être sujette à caution
Peut-être Socrate n’était-il pas
Exempt de défauts
Mais j’ai connu
Quelques femmes de ce type
Je ne les regrette pas
Il est sage de prendre le large
Il est sage de s’en aller
Vers des régions sereines
Avant que la mégère
Ne verse sur nos têtes
Le récipient complet
De ses haines fétides !
Le texte appartient au recueil inédit Mosaïques contemporaines (septembre 2015). Selon la tradition, Xanthippe, dans un accès de colère, aurait versé sur la tête de Socrate le contenu de son pot de chambre. Frédéric Perrot
Source image : Wikipédia