jeudi 7 décembre 2023

Martine Colledani, Les sirènes de la poésie


 

Les sirènes de la poésie se sont tues

Apocalypse now

Rois reines et manants se baladent

leurs têtes sous le bras

Ils ne peuvent plus parler

On a jeté leurs langues

dans le cul de basse-fosse

avec les autres fous

qui l’avaient bien pendue

et se disaient poètes

disaient ce qu’ils voulaient

qu’ils allumaient le ciel

et dansaient sur les eaux

Ils encensaient le Beau

Ils érigeaient fort haut

les murs de la pensée

Et vive la liberté

Tous leurs mots sont noyés

Il ne reste plus d’eux

qu’une mince carapace

mortifère et terrible

Que peut-on dire encore

Tu as vu c’est la guerre tu as vu c’est la fin

la fin du dire détrôné par le faire

par le Fer et le Feu

Tout ça n’a pas de mots

Pas un seul

 

………………

 

Un des poèmes lus par Martine lors de la belle soirée des Mercredis de la poésie le 6 décembre 2023.

 

Les Mercredis de la poésie, organisés par Pierre Louis Aouston

Avec Martine Colledani et Sylvia Undata


Sa solitude ombrageuse (pour Olivier)

 

Sa solitude ombrageuse

Vomit sa bile au saut du lit

Façon de parler, il s’en extrait

Avec difficulté

 

Sa solitude ombrageuse, dis-je,

En dépit du vertige

Voue aux gémonies

Toute idée d’harmonie

 

Mal, mal, mal, douleur

Encore un charmant quart d’heure

Avant d’être prêt

Pour son reflet

 

Pas beau à voir

Dans le miroir…

 

Sa solitude ombrageuse

Se tord morne dédaigneuse

Triomphe d’un instant

Tiens, je suis vivant

 

Et ça m’est égal –

Déjeuner frugal

Café, clopes

Un air de pop

 

Un rien suffit

Pour distraire son esprit

Mal, mal, mal, douleur

Mais déjà il est l’heure

 

De se mettre en mouvement

Et de faire semblant

Sinistre épouvantail

Tout à fait prêt pour le travail !

 

 

 

                               Frédéric Perrot


mercredi 6 décembre 2023

Dostoïevski, Humiliés et offensés (pour Guillaume)


 

Quatrième de couverture

 

Ce premier grand texte (1861) de Dostoïevski, alors âgé de quarante ans, écrit à son retour de Sibérie, est un roman d’aventures sentimental et social. La société de Saint-Pétersbourg y est décrite comme par Balzac. Le romanesque est fortement ancré dans la vie de l’écrivain, qui se fond dans la vie de de Saint-Pétersbourg telle qu’il la connaît. Il y explore la misère humaine avec une curiosité passionnée doublée de révolte. Cette ville flottante, brumeuse, est vue par un personnage de rêveur, image de l’auteur. Par-delà, la vision du monde de Dostoïevski est déjà présente : l’humanité courant à sa perte.

 

Dostoïevski, Humiliés et offensés

Traduction et édition de Françoise Flamant


mardi 5 décembre 2023

L'épopée du buveur d'eau (titre pour une encre d'Eric Doussin)

Eric Doussin

Le vin perdu (un poème de Paul Valéry)


J’ai, quelque jour, dans l’Océan,

(Mais je ne sais plus sous quels cieux),

Jeté, comme offrande au néant,

Tout un peu de vin précieux…

 

Qui voulut ta perte, ô liqueur ?

J’obéis peut-être au devin ?

Peut-être au souci de mon cœur,

Songeant au sang, versant le vin ?

 

Sa transparence accoutumée

Après une rose fumée

Reprit aussi pure la mer…

 

Perdu ce vin, ivres les ondes !...

J’ai vu bondir dans l’air amer

Les figures les plus profondes…


lundi 4 décembre 2023

Pierre Louis Aouston, L'effritement (un extrait)


 

La pluie est figée

 

Ce mardi matin est un jour vraiment pluvieux, un vrai jour ennuyeux, ceux que j’aimerais effacer, comme un enfant qui colorie le calendrier avec des crayons de couleurs je me vois, griffonner, crotter avec des couleurs arc-en-ciel, jaune citron, bleu ciel limpide, vert comme les épines de sapin, les feuilles du mois du mai du calendrier, jusqu’à les froisser, les déchirer dans une frénésie infantile, concentré sur mes crayons de couleurs tout neufs, un vrai plaisir et faire de ces jours gris, si humides avec cette pluie bâtarde, ni forte ni faible, juste là pour vous obliger à arrondir les épaules, les faire disparaître à jamais. Ces jours, je ne les aime pas au point que je voudrais oublier ces jours et ces matins, les faire disparaître de ma vie, oui je sais, chaque jour, chaque seconde est précieuse, le décompte ne doit pas être négligé, oui, je le sais, mais ces jours-là me sont souvent infernaux, mon esprit doit combattre chaque seconde de ces jours sans lumière, où le fade a envahi tout, les murs, les rues, l’air, et même les pensées. Je vais sortir, sortir et marcher, ce temps ne m’empêchera pas de partir en vadrouille dans les rues, je serai muni de mon parapluie, j’arriverai bien à combattre les éléments avec mon outil personnel, ce beau parapluie que je possède depuis bien longtemps, je ne l’ai jamais oublié dans une brasserie, une petite fierté, un vrai combat sur moi-même, quand je pense à tous les objets personnels que j’ai perdus, je dirai, une vingtaine de paire de lunettes, avec des œuvres d’art dans le domaine des lunettes, des pièces rarissimes. Au milieu de mes pas, pas vraiment sûr de mes enjambées, la pluie qui a couvert la chaussée attire la glissade, la bascule dans un parterre qui vous détruit en une fraction de seconde votre plus bel imperméable, n’est pas très loin. Si votre attention est perturbée par un événement inhabituel, je vous parle comme un vieux, mais vous le savez, ces choses-là, elles arrivent à tout le monde, et même dans la vigueur des corps jeunes n’est-ce pas ? Je marche le parapluie bien installé sur mon épaule gauche, la position qui assure une efficacité complète pour éviter un maximum de gouttes. Je marche dans la rue, sur la planète Terre, c’est une partie de territoire si petite, celle où je me trouve hélas ! Est bien noire, si noire, la lumière a fui, sa discrétion si lâche la rend éteinte avec ce bleu gris sale… Je marche les muscles légèrement contractés par le temps mais l’humidité me laisse une ouverture, elle ne peut pas la prendre celle-là, la pluie est figée, son geste de m’agripper pour mieux m’orienter vers elle, me posséder, est stoppé, comme si sa main ne pouvait pas me toucher, bloquée par mon corps. L’afflux de mes pensées, elles ne se bousculaient pas, elles s’affirmaient dans leurs importances, les unes après les autres. Je marchais, une belle pensée se rappelait à moi…


 

Le texte est extrait du premier roman du poète Pierre Louis Aouston, L’effritement, publié aux Editions De Bonne Heure. Le livre est disponible à la librairie Kléber de Strasbourg.