Qu’y a-t-il d’étrange à
cela ? Le ciel me déplaisait,
Aussi ai-je choisi de
vivre seul et dans le noir.
Je me suis façonné des
mains bonnes à fouir,
Concaves et griffues,
mais sensibles, robustes.
Dès lors, inaperçu,
insomnieux, je navigue
Sous les prés, et ne sens
ni le chaud, ni le froid,
Ni le vent, ni la pluie,
ni le jour, ni la nuit, ni la neige,
Cependant que les yeux ne
me servent plus à rien.
Je creuse et vais
trouvant de succulentes racines,
Des tubercules, du bois
vermoulu, des hyphes de champignons,
Et qu’un bloc de pierre
vienne à me barrer la route,
Je le contourne, non sans
mal, certes, mais posément,
Car je sais toujours où
je veux aller.
Je trouve des lombrics,
des larves, des salamandres,
Parfois même une truffe
Ou encore une vipère,
morceau de roi,
Voire des trésors
enfouis. Par qui ? Mystère.
En d’autres temps, je
suivais les femelles,
Et quand j’en entendais
quelqu’une qui grattait,
Je creusais prestement
une galerie vers elle :
Plus à présent. Le cas
échéant, je change de direction.
Mais, il advient,
parfois, à la nouvelle lune,
Que la mouche me pique,
et alors, je m’amuse
À surgir tout à coup pour
effrayer les chiens.
12 septembre 1982
Même
s’il a traduit Le Procès en italien, inaugurant une collection de
prestige, Primo Levi n’aimait guère Kafka, dont il jugeait l’imaginaire trop
sombre et agressif (voir Conversations et entretiens, « Une
agression nommée Franz Kafka »). Pourtant, ce poème pourrait constituer un
écho à ce que l’auteur pragois appelait ses « histoires
d’animaux » : La Métamorphose, Recherches d’un chien, Le
Terrier bien sûr, Communication à une académie et dans une moindre
mesure La taupe géante, où ce n’est pas l’animal qui s’exprime, mais un
instituteur s’interrogeant à son sujet.
Primo Levi, À une heure
incertaine
Traduit de l’italien par
Louis Bonalumi
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire