♦ Jamais déçu, non par
faute de déception, mais la déception étant toujours insuffisante.
♦ Il n’est pas exclu,
mais comme quelqu’un qui n’entrerait plus nulle part.
♦ Celui qui critique ou
repousse le jeu, est déjà entré dans le jeu.
♦ Comment peut-on
prétendre : « Ce que tu ne sais en aucune manière, en aucune manière
ne saurait te tourmenter ? » Je ne suis pas le centre de ce que
j’ignore, et le tourment a son savoir propre qui recouvre mon ignorance.
♦ Que les mots cessent
d’être des armes, des moyens d’action, des possibilités de salut. S’en remettre
au désarroi.
Quand écrire, ne pas écrire, c’est sans
importance, alors l’écriture change – qu’elle ait lieu ou non ; c’est
l’écriture du désastre.
♦ Ne nous confions pas à
l’échec, ce serait avoir la nostalgie de la réussite.
♦ Détaché de tout, y
compris de son détachement.
♦ La mort de
l’Autre : une double mort, car l’Autre est déjà la mort et pèse sur moi
comme l’obsession de la mort.
♦ Quand tout s’est
obscurci, règne l’éclairement sans lumière qu’annoncent certaines paroles.
♦ La souffrance souffre
d’être innocente – ainsi elle cherche à devenir coupable pour s’alléger. Mais
la passivité en elle se dérobe à toute faute : passif hors faillite,
souffrance sauve de la pensée du salut.
♦ Dans son rêve, rien,
rien que le désir de rêver.
♦ Le dessein de la
loi : que les prisonniers construisent eux-mêmes leur prison. C’est le
moment du concept, la marque du système.
♦ Si, parmi tous les
mots, il y a un mot inauthentique, c’est bien le mot « authentique ».
♦ Si tu écoutes
« l’époque », tu apprendras qu’elle te dit à voix basse, non pas de
parler en son nom, mais de te taire en son nom.
♦
Sans la prison, nous saurions que nous sommes tous déjà en prison.
♦ Peut-on dire :
l’horreur domine à Auschwitz, le non-sens au Goulag ? L’horreur, parce que
l’extermination sous toutes ses formes est l’horizon immédiat, morts-vivants,
parias, musulmans : telle est la vérité de la vie. Cependant, un certain
nombre résistent ; le mot politique garde un sens ; il faut survivre
pour témoigner, peut-être pour vaincre. Au Goulag, jusqu’à la mort de Staline
et à l’exception des opposants politiques dont les mémorialistes parlent peu,
trop peu – (sauf Joseph Berger), il n’y a pas de politiques : nul ne sait
pourquoi il est là ; résister n’a pas de sens, sauf pour soi-même ou
l’amitié, ce qui est rare ; seuls les religieux ont des convictions fermes
capables de donner signification à la vie, à la mort ; la résistance sera
donc spirituelle. Il faut attendre les révoltes venues des profondeurs, puis
les dissidents, les écrits clandestins, pour que les perspectives s’ouvrent,
pour que, des décombres, les paroles ruinées se fassent entendre, traversent le
silence.
Assurément, le non-sens est à Auschwitz,
l’horreur au Goulag. L’insensé en sa dérision est représenté (peut-être) le
mieux par le fils du Lagerführer Schwarzhuber : à dix ans, il venait
parfois chercher son père au camp ; un jour, on ne le retrouva pas ;
aussitôt, son père pensa : il a été ramassé par mégarde et jeté avec les
autres à la chambre à gaz ; mais l’enfant s’était seulement caché et,
désormais, on lui mit au cou une pancarte pour l’identifier. Un autre signe est
l’évanouissement de Himmler assistant à des exécutions de masse. Et la
conséquence : comme il craignait de s’être montré faible, il donna l’ordre
de les multiplier, et on inventa les chambres à gaz, la mort humanisée
au-dehors, au-dedans l’horreur à son point extrême. Ou encore, parfois on
organise des concerts ; la puissance de la musique, par instants, semble
apporter l’oubli et dangereusement fait disparaître la distance entre victimes
et bourreaux. Mais, ajoute Langbein, pour les parias, ni sport, ni cinéma, ni
musique. Il y a une limite où l’exercice d’un art, quel qu’il soit, devient une
insulte au malheur. Ne l’oublions pas.
♦ Nietzsche contre le
surhomme : « Nous sommes définitivement éphémères. »
« L’humanité ne peut accéder à un ordre supérieur. »
Considérons « l’urne funéraire du dernier homme ». Ce refus d’un
homme au-delà de l’homme (dans L’Aurore) va de pair avec tout ce que
Nietzsche dit contre le danger qu’il y aurait à se confier à l’ivresse et à
l’extase comme à la vraie vie dans la vie : de même, son dégoût pour
« les forcenés divagants, les extatiques qui recherchent des
états de ravissement d’où ils tombent dans la détresse de l’esprit de vengeance ».
L’ivresse a le tort de nous donner un sentiment de puissance.
♦ « Les
optimistes écrivent mal. » (Valéry.) Mais les pessimistes n’écrivent
pas.
♦ Garder le
silence, c’est ce que à notre insu nous voulons tous, écrivant.
Présentant
tour à tour de courts « éclats » et des fragments longs parfois
de plusieurs pages, L’écriture du désastre peut selon Christophe Bident,
être considéré comme le « dernier » livre de Maurice Blanchot.
L’écriture
du désastre a été publié en 1980 aux éditions
Gallimard.
Christophe Bident, Maurice Blanchot Partenaire invisible, Editions Champ Vallon, 1998.
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