mercredi 16 septembre 2020

L'imagination manquante (avec un dessin d'Eric Doussin)

Eric Doussin, Ordinary People 

                                                      Pour Matthieu,
                                      

L’imagination me manque : comme une femme aimée que l’on ne voit que trop rarement… Les retrouvailles espérées s’avèrent décevantes. L’imagination comme la femme, n’a rien à me dire de particulier.
Mais que serais-je, si je devais renoncer à ce qui me manque ?

Le passager du train – Un certain degré de fatigue génère une imagination nerveuse et angoissée. Ce sont de ces cauchemars éveillés, où des amis meurent dans des circonstances atroces, égorgés dans la nuit par leur nouveau colocataire ; où l’on se figure que le passager du train en face de soi est un fanatique qui d’un moment à l’autre, va sortir de son sac de sport une arme de guerre et abattre le plus grand nombre possible de voyageurs… Comme on est juste en face de lui, on sera inévitablement parmi les premières victimes et on surveille avec épouvante son sommeil, qui ne peut être qu’un leurre… Ces maléfices d’une imagination dévoyée sont si insidieux et puissants, que c’est à peine si l’on prend conscience que le passager en question – un inoffensif sportif sans doute, au retour d’une compétition ! – vient de se lever et de quitter le train… Et si le soulagement est grand, plus grand encore est l’épuisement qu’ont provoqué tous les excès d’une imagination aberrante. 

Sans répit – Si par bonheur, notre angoisse faiblit jusqu’à devenir sourde, cela ne durera jamais très longtemps… Il nous suffira d’allumer notre ordinateur ou notre radio, pour que presque aussitôt toutes les atrocités du monde nous sautent à la gorge !

L’imagination sans frein – L’imagination est parfois une pente sur laquelle on glisse de plus en plus rapidement ; et c’est à juste titre que l’on parle d’imagination sans frein… Les délires d’un jaloux ne sont peut-être dus qu’à un excès d’imagination, à une surinterprétation anxieuse de détails insignifiants… Le jaloux ne tient aucunement compte de tout ce qui contredit sa conviction, qui n’est à l’origine qu’une construction de l’esprit : « Ma compagne est une garce infidèle qui se moque de moi… » Et même confronté à l’évidence – « Je me trompais, ce n’était pas cela » – le jaloux s’efforcera toujours de chercher des preuves, que son imagination débridée lui fournira, aimablement. C’est en cela que l’expression « fou de jalousie » a beaucoup de sens.

L’imagination créatrice – Elle est la seule forme d’imagination à laquelle nous devons aspirer. Mais malheureusement elle manque… Comme elle manque…


                                 Juin 2018, version revue septembre 2020
                                                                  Frédéric Perrot

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