mardi 26 novembre 2019

Le nageur (avec un dessin d'Eric Doussin)

Eric Doussin



Afin de changer d’air, il était parti à l’étranger, dans une petite station balnéaire de la côte italienne.
Il était midi, la plage était quasi déserte. De loin en loin, il apercevait deux ou trois hommes seuls étendus sur des serviettes et qui devaient suer à grosses gouttes. Il y avait aussi une famille dont les parents comme les enfants semblaient stupéfiés par le soleil, tous ayant trouvé refuge sous un parasol blanc. Il était seul dans l’eau et il nageait avec bonheur.
A un moment, alors qu’il accomplissait ses mouvements avec attention – il n’était qu’un piètre nageur qui n’avait appris que la brasse –, il connut une curieuse extase. Comme si son bonheur, le silence, la beauté du monde qui l’entourait, la conjonction de tout cela avait donné à sa pensée des perspectives plus vastes et insoupçonnées, il songea sans effort particulier que des milliers d’années auparavant des hommes et des femmes à moitié sauvages avaient dû se baigner dans cette même eau, courir sur cette plage, muettement émerveillés de toute cette splendeur. Un instant, dans le mouvement des vagues, il eut même la vision fugace de leurs corps mats et robustes, comme si ces lointains ancêtres, ces bons sauvages avaient nagé à ses côtés…
Ce n’était qu’une illusion.
Il sortit de l’eau. La plage bruissait de monde. Un avion traînant derrière lui une banderole publicitaire passa dans le ciel et rompit définitivement le charme. Ce n’était qu’une illusion…
Mais comme sa pensée lui semblait en général contingente, sans horizon, décevante, il ne fut pas mécontent de cette courte échappée, ce rapide saut dans le temps et se promit de s’en souvenir, les jours où il serait malheureux.

                                     
                                                                               Frédéric Perrot

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