mercredi 17 juillet 2019

Le meurtre de Claire Flamant


Une nuit d’été particulièrement chaude, il rêva du meurtre de sa compagne.

Dans une vaste chambre sans fenêtre, Claire, dont la lourde masse de cheveux sombres semblait s’égayer au hasard des mouvements d’une danse que rien par ailleurs n’attestait, se tenait droite et fière dans un angle obscur ; et, seule une inexplicable luminosité laiteuse, dont on aurait en vain cherché à déterminer l’origine, trahissait sa présence…
À ses pieds, en un monticule confus et sanglant, gisaient les dépouilles de plusieurs oiseaux morts. Une étouffante odeur de poudre alourdissait encore l’atmosphère lugubre de la vaste pièce ; mais il n’y avait nulle part trace d’un fusil ou d’une autre arme à feu… Il semblait d’ailleurs inconcevable que Claire eût pu s’adonner à cette pratique qu’ils tenaient tous deux pour un reste de barbarie !
Il voulut lui parler, afin de lui demander raison de cet écœurant tableau de chasse ; mais à travers le vaste et silencieux espace qui les séparait, sa voix ne portait pas et il dut s’approcher, avec des mouvements pénibles et las…

Alors, dans le dos de Claire, comme confondu avec la paroi et prêt à en surgir avec l’élan effroyable d’une gargouille, il remarqua un être masqué et musculeux et dont les proportions étaient si parfaites qu’elles évoquaient les patients efforts d’un sculpteur… Homme ou statue, l’être masqué semblait de toutes ses forces vouloir se libérer, s’arracher à la prison que constituait pour lui le plâtre gris du mur…
Et dans son élan désespéré pour échapper à la rude impassibilité de la matière, le masque, penché au-dessus de Claire comme pour lui murmurer un mot à l’oreille ou déposer dans son épaisse chevelure la promesse d’un baiser, le masque pleurait… Et des larmes rouge sang dégoulinaient en de sinueux ruisseaux, sur tout le corps blanc et à présent soulevé de convulsions de la jeune femme qui haletait, et dont les traits, autrefois paisibles et doux comme ceux d’un enfant, se tordaient dans les affres d’une douleur et d’un plaisir inconnus…
En un instant, il comprit qu’il devait mettre fin à cet épouvantable accouplement ; et, avisant sur le sol, dans la poussière, un vase brisé, il l’empoigna ; et, en le soulevant à bout de bras, avec un mouvement de rage aveugle et de toutes ses forces, il enfonça l’hideux tesson dans la chair molle et le ventre rebondi de sa compagne…

Lorsque dans un frisson, il ouvrit les yeux, il se tenait au bord du lit de Claire ; et, en écartant le drap avec un geste fiévreux, il découvrit la large auréole de sang dans laquelle baignait son corps blanc et sans vie…
Il quitta la chambre et se rendit dans le salon où il composa le numéro de la police.
« C’est pour vous signaler un meurtre, dit-il d’une voix blême et perdue, c’est pour vous signaler un meurtre, quelqu’un a assassiné ma compagne et l’enfant qu’elle portait, quelqu’un, qui, moi, je ne sais pas, a cette nuit, assassiné Claire Flamant… »


         Le texte appartient au recueil autoédité Les heures captives (décembre 2012). Frédéric Perrot.

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