mardi 25 juillet 2017
mercredi 5 juillet 2017
ascenseur pour l'échafaud
Le sommeil de la raison
Le sommeil de la raison…
Tu es sans cesse importuné par des créatures étranges. En tuer une ne
saurait suffire, les tuer toutes est impossible.
Nuitamment tu as erré, nuitamment tu as cherché. Chancelant sous une
pluie battante, harcelé par les vents, tu avançais malgré tout, porté par un
douloureux désir. La ville était devenue un vaste labyrinthe où égaré tu
interrogeais les apparences. Les ombres bruissaient de pénibles rumeurs. Les
murs portaient leurs lambeaux d’affiches comme des cicatrices. A travers la
longue enfilade des rues des farandoles d’enfants masqués se déroulaient comme
des rubans. D’insalubres ruelles et de cafés aux vitrines rouges émergeaient
des troupes d’acteurs titubants qui se répandaient au hasard de leur ivresse. A
une fenêtre penchée tu fus un instant sensible à la blancheur d’une robe sur
laquelle un rideau tomba. Tu allais sans rien voir et sans rien retenir. Dans
la roseraie te surprirent des instruments de musique à l’abandon. Les cuivres
dégouttant de pluie luisaient et tu murmurais sans comprendre le mot trompette
et le mot cor. Il y avait des chaises à la renverse comme des visions de rêves
éparses et dans les branches une ombrelle s’était accrochée. Dans l’allée
sablonneuse un cheval passa au pas et disparut. Des parterres de fleurs chétives
bordaient les tombes de marbre blanc. Des processions de mères en deuil se
penchaient au-dessus de quelque fosse commune. Leur douleur était silencieuse
malgré leurs bouches grandes ouvertes et leurs visages tordus. Dans le talus
grimaçaient des clowns effrayants et leur danse folle te semblait une suprême
dérision. Partout se faisaient entendre des cris, des bris de verre et des
éclats de rire. Tu errais, tu cherchais et inutile était la lettre pressée
contre ton cœur.
Frédéric Perrot
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Francisco de Goya (1797) |
vendredi 30 juin 2017
La nuit élucidée
Un
orateur – Il était passé maître dans l’art de prononcer de longs discours pour
lui-même, les yeux ouverts dans l’obscurité.
Contre le ressentiment – « Vos écrits
sont encore bien amers. À votre place, je commencerais par me purger de mon
venin ; car qui croyez-vous donc piquer
avec votre langue de
vipère ? »
Ou : « Je n’aime pas
votre manière de juger l’humanité entière, sans avoir pris la peine de vous
considérer vous-même…»
« Il parle tout seul » – « Et
alors ? Il passe des heures et des heures en sa seule compagnie ; à
un moment ou à un autre, il lui faut bien entendre une voix humaine, fût-elle
la sienne… »
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La nuit élucidée – « Souvent la nuit
nous comble de révélations provisoires ; nous avons le sentiment de
parvenir à une vaste compréhension, non de nous-mêmes – car pour cela, le jour
suffit –, mais du malheur commun et de ce qui agit les hommes… Et s’il n’était
pas trois heures du matin, nous lancerions sans doute un éclatant Eurêka !
Hélas, à chaque fois, ces rapides éclairs de compréhension et les élans de joie
qui les accompagnent, s’achèvent dans l’ironie et la dérision d’un sommeil de brute, qui les engloutit… »
« Au cœur de la nuit » – « Quelques
mots qui ne veulent rien dire ; car la nuit n’a ni « cœur », ni « profondeur » :
la nuit n’est que le temps tel qu’en lui-même, le temps nu – Expérience
éprouvante, souvent douloureuse… »
Ou : « Je comprends fort bien
tous ceux, dont moi, qui ne supportent pas la nuit et n’ont d’autre but que de
l’habiter artificiellement ou de la traverser à vive allure, au gré de
l’ivresse…»
Sans trace d’ironie – « Ces nuits,
nous les avons vécues jusqu’au bout et intensément. Nous étions là, avec des
amis, et la conversation nous portait, nous passionnait. Nous avons beaucoup
ri, et parfois au fil de la conversation, nous nous sommes livrés, plus que
nous l’aurions voulu… Mais quelle importance ? Nous étions vivants et nous
ne voulions surtout pas dormir… »
Frédéric Perrot
jeudi 29 juin 2017
1984
« Il nous est intolérable qu’une
pensée erronée puisse exister quelque part dans le monde, quelque secrète et
impuissante qu’elle puisse être. Nous ne pouvons permettre aucun écart, même à
celui qui est sur le point de mourir. Anciennement, l’hérétique qui marchait au
bûcher était encore un hérétique, il proclamait son hérésie, il exultait en
elle. La victime des épurations russes elle-même pouvait porter la rébellion
enfermée dans son cerveau tandis qu’il descendait l’escalier, dans l’attente de
la balle. Nous, nous rendons le cerveau parfait avant de le faire éclater. Le
commandement des anciens despotismes était : « Tu ne dois pas.» Le
commandement des totalitaires était : « Tu dois. » Notre
commandement est : « Tu es. » Aucun de ceux que nous amenons ici
ne se dresse plus jamais contre nous. Tous sont entièrement lavés. » (George
Orwell, 1984, Troisième partie,
chapitre II)
mercredi 28 juin 2017
l'arrêt de mort
« Je crois qu’il lui était
agréable de forcer la mort à plus de loyauté et à plus de vérité. Elle la
condamnait à devenir noble.»
(Maurice Blanchot, L'arrêt de mort)
(Maurice Blanchot, L'arrêt de mort)
Les premières lignes du récit
« Ces événements me sont
arrivés en 1938. J’éprouve à en parler la plus grande gêne. Plusieurs fois
déjà, j’ai tenté de leur donner une forme écrite. Si j’ai écrit des livres, c’est
que j’ai espéré par les livres mettre fin à tout cela. Si j’ai écrit des
romans, les romans sont nés au moment où les mots ont commencé de reculer
devant la vérité. Je n’ai pas peur de la vérité. Je ne crains pas de livrer un
secret. Mais les mots, jusqu’à maintenant, ont été plus faibles et plus rusés
que je ne l’aurais voulu. Cette ruse, je le sais, est un avertissement. Il
serait plus noble de laisser la vérité en paix. Il serait extrêmement utile à
la vérité de ne pas se découvrir. Mais, à présent, j’espère en finir bientôt. En
finir, cela aussi est noble et important. »
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