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Affiche subtilisée dans Strasbourg Nouveaux Délits numéro 58 (octobre 2017) |
samedi 30 septembre 2017
vendredi 29 septembre 2017
à l'isolement
À l’isolement
« Nous sommes bien dans la
caverne de Platon. Le problème, c’est que les films qu’on nous passe sont
pourris. » (Philip K. Dick)
Martial se réveilla brutalement, dans une
chambre qu’il ne reconnut pas. Il était tout habillé, allongé en travers d’un
grand lit à baldaquins, qui lui parut anachronique et en contradiction avec le
reste du mobilier qui était fonctionnel, comme celui de sa cellule. Il avait la
tête lourde, comme s’il avait une sévère gueule de bois, mais la première chose
dont il se rappela, était sa fonction. Il était scribe, scribe dans un
ministère ou une administration, et son bureau où il écrivait des rapports pour
le gouvernement, était couramment nommé entre collègues une cellule…
Sur une chaise d’une forme artistique
étonnante et d’une couleur vive, il y avait une valise ouverte. Martial se leva
pour en inspecter le contenu. Il n’y avait rien d’autre qu’un carnet, dont les
premières pages se couvraient de phrases très courtes, apparemment
indépendantes les unes des autres et qui lui semblèrent toutes dépourvues de
sens. Il sourit à la pensée que l’on avait bien de l’argent à dépenser, dans
son ministère ou son administration, si on le payait pour noter de telles
inepties, car il lui semblait que c’était son écriture…
L’anachorète
se méfie du tournesol. C’était la première phrase notée, et
toutes les autres étaient de la même eau… Enigmatiques sans l’être
vraiment et agaçantes pour la même raison, comme les effusions automatiques
d’un poète de seconde zone, aveuglé par sa confiance absurde dans les mots…
Mais le plus étonnant était qu’il n’avait aucun souvenir de les avoir notées et
que lui-même se demandait ce qu’elles pouvaient signifier ; car c’était
son écriture à coup sûr et s’il avait voulu crypter des informations
importantes, afin qu’elles ne tombent pas entre les mains de l’ennemi, le code
à présent lui manquait…
Anachorète était un clair archaïsme et il
n’aurait pas juré du sens du mot ; quant au tournesol, il avait le
sentiment que ce devait être une fleur de couleur jaune, par déduction
sémantique. Il n’y avait plus aucun végétal depuis si longtemps... Il avait
cependant l’impression d’avoir aperçu, dans son enfance, au bord d’une large
route, des fleurs qui auraient pu se nommer tournesol ; il n’en était pas
certain, ce n’était peut-être qu’un souvenir construit… Il sourit une nouvelle
fois à la pensée qu’on ne le payait pas pour rien, puisqu’il était bien occupé
à essayer de comprendre des traces manuscrites.
« Vos notes vous laissent
perplexe ? »
Martial sursauta malgré lui.
Une femme se tenait à quelques pas de
distance et le considérait avec une attention soucieuse. Toute son attitude
traduisait un semblant d’intérêt maternel ou sororal parfaitement imité. Elle
portait un uniforme d’un blanc impeccable. Ses cheveux raides étaient d’une
blondeur irritante et il eut le sentiment d’être face à une infirmière…
Ou que du moins telle était l’idée, qu’on
voulait lui donner de la fonction de cette femme, qui pour le reste n’était
qu’un pur cliché d’un érotisme conventionnel, comme sorti d’un magazine pour
hommes ; ce qui devait amoindrir ses capacités de réflexion en ajoutant à
la scène une vague promiscuité d’ordre sexuel…
C’était toujours la même technique, on ne
faisait aucun effort et Martial commençait enfin à comprendre où il était
précisément… Il était revenu, ou plutôt il se trouvait toujours dans l’enceinte
qu’il n’avait pas un instant quittée réellement…
Comme il ne disait rien, au bout d’un
moment, l’infirmière obéissant sans doute à quelque impulsion programmée, tenta
de relancer ce simulacre de conversation, en expliquant d’une voix mécanique
que ces notes avaient également laissé perplexes les plus brillants experts.
« J’imagine, s’écria Martial soudain
ulcéré par le manque de subtilité de la manœuvre, puisqu’elles ne veulent rien
dire… Ce ne sont que des mots, agencés au hasard et le sens de la plupart
d’entre d’eux m’est inconnu…Vous espériez sans doute, en me torturant le
cerveau comme vous savez si bien le faire, que je livrerai des informations
d’importance sur le mouvement d’opposition, auquel contre toute vraisemblance
vous croyez que j’appartiens, et qui n’existe même pas… Mais apparemment mon
pauvre cerveau ne manque pas de ressources ! Puisque je n’ai écrit que des
stupidités dépourvues de sens, mais qui pouvaient encore donner l’illusion
qu’elles en avaient un et vous faire bûcher un peu, en vain… Votre grande
victoire, je dois l’admettre, est de m’avoir fait croire pendant un moment que
j’étais un scribe d’un quelconque ministère, que ce que j’avais écrit était
important pour le gouvernement, que je devais le comprendre et me l’expliquer à
moi-même…Mais tout ça, tout ça c’est de la foutaise ! »
Martial criait, en faisant de grands
gestes, comme s’il défiait une assemblée invisible, des puissances obscures et
maléfiques ; et presque aussi soudainement qu’elle l’avait saisi, sa
colère retomba… Haletant, il se sentit un peu honteux et ridicule, mais cela
était sans importance. Il n’y avait jamais eu personne, ni infirmière, ni rien…
Ce n’était qu’une grossière manipulation. Le lit à baldaquins avait disparu, comme
le fantasme anachronique qu’il était. Il ne portait pas de beaux habits, même
chiffonnés, il ne portait qu’une tenue de prisonnier… Il était bien dans une
cellule, et il n’y avait rien d’autre qu’un seau d’aisance et un carnet, ainsi
qu’un stylo, posés à même le sol, dans la poussière. Depuis combien de temps se
trouvait-il dans l’enceinte ? Et pendant combien de temps encore
devrait-il souffrir, avant qu’ils ne parviennent à le briser ?
Frédéric Perrot
dimanche 24 septembre 2017
épiphanie (accompagné d'un premier dessin d'Eric Doussin)
Epiphanie
À l’instant précis – 14 heures 37,
indiquait son horloge murale – où les trois bombes nucléaires explosèrent au
large, à un kilomètre environ de la luxueuse villa qu’il avait louée pour
l’été, l’écrivain vieillissant nommé Raphaël de Valentin – ce n’était qu’un
pseudonyme emprunté à une lecture de jeunesse et qu’il conservait pour des
raisons sentimentales –, mettait justement un point final à la quatorzième
version de ce qui devait être le plus fameux sonnet de toute son œuvre,
« son couronnement », celui dans lequel en tous cas en quelques vers
admirables, il avait condensé son expérience de la vie et qu’il avait titré,
malgré son peu de goût pour les métaphores religieuses, Epiphanie… Il se leva péniblement et en grimaçant – car c’était
cela la vieillesse, la monotonie de la douleur –, et par la vaste baie vitrée
de la villa – « Vue imprenable sur l’ancienne mer Méditerranée ! »,
proclamait le prospectus publicitaire de l’agence –, il regarda les trois
immenses champignons grisâtres s’élever dans le ciel d’un gris semblable.
C’était terrible à dire, songea-t-il, mais le spectacle ne manquait ni de
beauté, ni de poésie, comme une rapide vision de rêve… Les trois explosions
simultanées provoquèrent une vague prodigieuse qui, à une vitesse non moins
phénoménale, se dirigeait vers la côte et au moment où la baie vitrée vola en
éclats, il eut juste le temps de se dire sans tristesse particulière, qu’il
était parvenu à mettre un point final à son œuvre, même si c’était un peu tard…
Frédéric Perrot
Eric Doussin |
vendredi 22 septembre 2017
ces banalités plus ou moins philosophiques...
« Chacun
fait l’épreuve de voir disparaître ce qu’il aime, sans doute. C’est la règle et
elle ne souffre pas d’exception durable. Si comblé que l’on soit par la vie, il
faut à un moment ou à un autre se dessaisir de tout ce qu’elle vous a donné. Le
temps qui passe, la mort qui vient exécutent la besogne. On le sait et on l’ignore.
Si l’on y réfléchit, rien n’est plus étonnant que cette formidable faculté d’oubli
que mobilisent mentalement tous les hommes afin d’ignorer ce qu’ils savent
pourtant. Ils construisent des demeures et accumulent des biens, s’unissent et
se reproduisent, constituant tous comme un petit empire à leur mesure qu’ils
font prospérer autant qu’ils le peuvent et sur lequel ils se donnent l’illusion
éphémère de régner. Mais il leur faudra tout rendre au néant, dans
lequel, à leur tour, ils disparaîtront enfin. Je n’exprime ces banalités plus
ou moins philosophiques que parce qu’elles se trouvent systématiquement
méconnues. L’existence l’exige, et c’est très bien ainsi, aucune conscience ne
pouvant supporter la perspective, au fond assez terrible, dont je parle ici.»
(Philippe Forest, Crue)
Philippe Forest est romancier, essayiste. Il a entre autres écrit une biographie de Louis Aragon.
A lire de Philippe Forest, un des plus importants écrivains français contemporains, selon moi : L'enfant éternel (1997) et Tous les enfants sauf un (2007)
lundi 18 septembre 2017
Chercheurs d'échos (accompagné d'une encre d'Eric Doussin)
Chercheurs d’échos
Dans
des systèmes éloignés
À
des distances inconcevables
Ils
cherchent des ombres et des échos
Sont
en quête de la connaissance et de la beauté
Font
tant de découvertes déconcertantes
Des
mondes prodigieux
Et
des planètes géantes
Insoupçonnées
Donnent
à l’imaginaire
De
plus vastes horizons
Et
des objets nouveaux
À
notre réflexion
Sous
la surface glacée d’Encelade
Sixième
lune de Saturne
Aux
mystérieux anneaux
Il
semble qu’il y ait un océan
mercredi 6 septembre 2017
Le rêve d'Icare (publié dans le numéro 18 de la revue Lichen, septembre 2017)
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Fernando Zobel, Icare |
Le rêve d’Icare
Pour Laurent,
« Pour un moderne, qui ne croit ni
aux dieux ni au ciel, Icare est mort d’avoir oublié les sages conseils de son
père, d’avoir été un fils au sens fort du terme ; et ses ailes brisées qui
flottent à la surface ne sont que les émouvantes traces d’une révolte inutile.» (1)
Pour
des raisons qui n’ont rien de frivole
L’homme
envie l’oiseau
Et
dans ses imaginations les plus folles
Ses
rêves joyeusement il vole
Se
désenglue décolle
Oh
comme il est faux de dire
Qu’il
aime le sol
Ce
qui accroche et s’enfonce
Les
racines et les ronces !
« Avoir
les pieds sur terre »
Est
l’idéal médiocre par excellence
« Descends de ton nuage »
Ce
qu’on nous a seriné toute l’enfance…
Or
même un instant un enfant est comme Icare
Lui-même
fils de Dédale
(Architecte
de génie
C’est
tout ce qu’on sait de lui :
Cette
imposante filiation…)
Il
regarde vers le haut !
Et
durant toute sa vie
Aura
la nostalgie
Des
envols inaccomplis
De
l’étoile
Et
du ciel natal !
Frédéric Perrot
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1- Pour le plaisir de la citation
fictive
pour aller lire la revue d'Elisée Bec
samedi 2 septembre 2017
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