lundi 23 novembre 2020

L'enfant de Pompéi (poème de Primo Levi)

Primo Levi

 

Puisque l’angoisse de chacun est notre angoisse,
Nous revivons toujours la tienne, enfant gracile,
Qui t’es blottie contre ta mère, éperdument,
Comme si tu voulais te réfugier en elle,
Quand tout noir, à midi, le ciel est devenu.
En vain, parce que l’air transformé en poison
A filtré jusqu’à toi par les fenêtres closes
De ta maison tranquille, aux murs si rassurants,
Qu’avaient ravie tes chants et tes rires timides.
Des siècles ont passé, la cendre faite pierre
Emprisonne à jamais la grâce de ton corps.
Ainsi restes-tu parmi nous, convulsif moulage de
            plâtre,
Agonie infinie, terrible témoignage
Du cas que font les dieux de notre race altière.
Rien, cependant, ne reste parmi nous, de ta lointaine
            sœur,
De l’enfant de Hollande, entre quatre murs emmurée,
Qui écrivit pourtant sa jeunesse sans lendemain :
Ses cendres ont été dispersées par le vent, muettes,
Et un cahier jauni renferme sa vie brève.
Plus rien ne reste de l’écolière d’Hiroshima,
Ombre clouée au mur par la lumière de mille soleils.
Puissants de la terre, maîtres en nouveaux poisons,
Tristes gardiens secrets du tonnerre définitif,
Les fléaux du ciel amplement nous suffisent.
Avant que d’appuyer du doigt, arrêtez-vous, réfléchissez.
 
                                               20 novembre 1978
 

 
          Ce poème est extrait du livre À une heure incertaine, recueil qui va de février 1943 à janvier 1987 et rassemble toute l’œuvre poétique de Primo Levi
         
         À une heure incertaine, Arcades Gallimard, 1997. Traduit de l’italien par Louis Bonalumi. Préface de Jorge Semprun.   

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