Qu’attendre de Depeche Mode en 2023 ? Ce groupe qui a
survécu à tous les excès, les concerts pharaoniques, les overdoses à répétition
de son chanteur, a vu un de ses membres, le plus inventif, Alan Wilder, claquer
la porte au début des années 90 parce que justement il en avait marre de
tout ce cirque, un autre mourir l’année passée, n’a plus rien à prouver,
comme l’écrit assez niaisement un petit journaliste des Inrocks dans un court
article fielleux. Certes.
Mais qu’attendre de Depeche Mode en 2023 ? Et bien qu’ils
fassent ce qu’ils ont toujours fait : composer des chansons. Sans la
prétention arty des Radiohead, le je m’en foutisme amusant de Gorillaz… L’important
pour un groupe pop, ce sont les chansons. Martin Gore est le songwriter le plus
talentueux de sa génération, avec Robert Smith de The Cure. Il collabore ici,
sur cet album au titre apparemment rédhibitoire (Memento Mori, « N’oublie
pas que tu vas mourir ») avec Richard Butler des Psychedelic Furs, autre
groupe légendaire des années 80, pour quatre morceaux. Dave Gahan en compose deux
également : Depeche Mode est devenu à force, au fil des années, un groupe presque
démocratique !
L’excellente nouvelle, c’est que les chansons, d’une durée toujours
raisonnable – The Cure devrait en prendre de la graine, leurs trois nouveaux morceaux
révélés l’an passé étant proprement interminables – sont bonnes.
Après une entrée en matière somptueuse, l’avant-gardiste My cosmos
is mine, qui écrit après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, semble la
BO idéale d’un film de science-fiction cauchemardesque, le léger et presque anodin
Wagging tongue nous rappelle que Depeche Mode a commencé dans le sillage
de Kraftwerk.
Suit le single ! Ghosts again. J’avoue qu’à la
première écoute, sur un ordinateur, il m’avait paru assez insipide. Sur une
chaîne à l’ancienne, le morceau se révèle plus complexe. Ce n’est pas Personal
Jesus ou Enjoy the silence, bien sûr, mais la chanson parvient à
établir un juste équilibre, la mélodie assez entêtante nuançant la tristesse du
sujet : la mort, un des thèmes si l’on peut dire, de l’album…
Je le dis à ce moment : la presse musicale ou généraliste
nous annonçait un disque ultra-dark, sombre, si sombre… C’est le propos général
qui est sombre. La plupart des chansons ont été écrites dans un monde arrêté,
pendant le confinement, où quelques milliards d’êtres humains avaient l’impression
de vivre dans une très mauvaise dystopie… Mais musicalement, ce n’est jamais pesant,
comme pouvait l’être Spirit en 2017. L’ambiance générale est intimiste,
sur un rythme middle-tempo. Ce sont des chansons, vraiment. My favourite
stranger fait exception : c’est le bon morceau anxiogène de l’album,
un délire schizo sans doute…
Le sentiment qui domine est la mélancolie. Deux chansons au
moins se révèlent déchirantes. L’étrange et lynchien Don’t say you love
me et surtout Always you, la chanson la plus triste écrite par Depeche
Mode depuis très longtemps… Le groupe n’oublie ni ses idoles (Caroline’s Monkey
est pour moi un hommage à Lou Reed), ni son ironie à la limite du cynisme :
People are good, qui sur un rythme assez putassier, propre à mobiliser
les foules, suggère qu’il faut être fou ou un pauvre débile pour croire que les
gens sont bons.
Les deux morceaux signés Dave Gahan (Before we drown et
le final Speak to me) comptent parmi les plus intrigants et les plus
réussis de l’album. Il faut absolument dire que le même Dave Gahan, très classe
sur scène en costume impeccable comme David Bowie ou Nick Cave, n’a jamais
aussi bien chanté. Un bon groupe pop, c’est essentiellement une voix…
Au diable Thom Yorke ! Adieu Bono !
Sur Internet, il y a cette habitude assez
inepte de donner des notes aux albums, comme à l’école. « 4,5 sur 10. En progrès,
mais reste nul… ». Je dirai simplement qu’avec Memento Mori,
Depeche Mode signe son meilleur album depuis Playing the Angel (2005).
Ce qui ne nous rajeunit toujours pas, hélas !
Frédéric
Perrot
Pour écouter Always you : https://youtu.be/rHaOD6jTpdU
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