ce sont de ces visites qui ne veulent plus s’en aller,
une invasion, une véritable invasion, contre laquelle il n’est rien à faire,
contre laquelle on ne peut rien, les autres peut-être, moi non, je suis sans
force, je ne veux pas, je ne peux pas, un, deux, trois pas me séparent encore
de la table où est posé le poison libérateur, un, deux, trois pas, ce n’est
rien et pourtant impossible, sous leur regard, en leur présence, nombreuse,
indésirable, un, deux, trois pas, mais impossible, sous leur regard qui
m’amenuise, en leur présence, nombreuse, indésirable, à tout instant, je ne
fais que passer disent-ils, ce n’est pas interdit, on les encourage même, au
cas où par exemple certains seraient
tentés par le poison, on rentre et on ne reste qu’un instant, pour voir, c’est
mignon chez vous, ce n’est pas interdit, on les encourage même, à se surveiller
les uns les autres, à tour de rôle et réciproquement, il ne tiendrait qu’à vous
d’en faire autant disent-ils, il ne tiendrait qu’à vous d’aller voir dans leur
logement à eux disent-ils, oui, il ne tiendrait qu’à moi de dire c’est mignon
chez vous en entrant pour ne rester qu’un instant, oui, il ne tiendrait qu’à
moi d’être aussi de ces visites qui ne veulent plus s’en aller, une invasion,
une véritable invasion, contre laquelle il n’y aurait rien à faire, contre
laquelle on ne pourrait rien, les autres peut-être, moi non, je ne veux pas, je
ne peux pas, cette existence sous surveillance m’amoindrit, et pourquoi aussi
désirer voir un intérieur exactement semblable au sien, conçu sur le même
schéma, organisé rationnellement de la même façon ou à peu près, les
différences étant minimes, minuscules, imperceptibles, organisé rationnellement
pour économiser l’espace vital comme
ils disent, de la même façon ou à peu près, la curiosité ne se justifiant
vraiment pas ou alors pour dire pince-sans-rire c’est mignon chez vous, c’est
un peu comme chez moi, j’aime beaucoup, les autres peut-être, moi non, non que
je sois singulier, original, je ne veux pas, je ne peux pas, c’est tout, cette
existence sous surveillance m’amoindrit, tout ce que je voudrais c’est
l’invisibilité ou le poison libérateur posé sur la table, un, deux, trois pas,
mais impossible, même de mourir on n’est pas libre, impossible, comme de passer
ce que l’on continue par pure convention d’appeler les portes, comme de sortir,
sortir, quelle dérision, comme fuir, pour aller où, s’il n’y a plus de
différence entre l’intérieur et l’extérieur, si extérieur et intérieur ne sont
plus que des mots, des mots près de disparaître, des mots dont on use comme de
survivances, survivances d’un monde où il y avait encore, mais quand, une
différence entre ce qui est chez soi et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est
chez soi et ce qui est chez l’autre, tous les autres, entre le chez soi et le
dehors, un autre très beau mot près de disparaître, il n’y a plus de dehors, il
n’y a plus pour tous et il n’y aura jamais plus pour tous que la vie dans la
maison de verre
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À l’origine
du texte, il y a une phrase de Rilke dans une lettre au sujet de « ces visites qui ne veulent plus s’en aller »,
une phrase de Bashung – « ma vie sous verre s’avère ébréchée »
– et le titre d’une chanson déprimante de Radiohead, Life in a glasshouse.
J’ajouterai
rétrospectivement ces lignes étonnantes d’André Breton dans Nadja, que je ne connaissais pas à l’époque :
« Pour moi, je continuerai à habiter ma maison
de verre, où l’on peut voir à toute heure qui vient me rendre visite, où tout
ce qui est suspendu aux plafonds et aux murs tient comme par enchantement, où
je repose la nuit sur un lit de verre aux draps de verre, où qui je suis m’apparaîtra
tôt ou tard gravé au diamant. »
Le texte appartient au recueil autoédité Les heures
captives (décembre 2012). Frédéric Perrot
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