jeudi 13 septembre 2018

dans le rêve d'un autre


À peine réveillé – « Il est troublant d’une certaine manière de penser que l’on peut être un personnage du rêve de quelqu’un d’autre ; et que l’on pourra l’être encore, même après sa mort… »

Comme un fantôme – « Tu m’assures de ton amour, mais je ne serai plus un jour qu’une apparition inexplicable dans quelques-uns de tes rêves agités… »

Dans le rêve d’un autre – Il semble sage de ne pas trop réfléchir à la façon dont nous pouvons apparaître dans le rêve d’un autre. Il se peut que nous y fassions pâle figure et que l’esprit du rêveur nous ait percés à jour avec une cruelle lucidité !

Histoire d’amour – Cette femme qui ne concevait l’amour qu’un peu hystériquement, souhaitait selon ses dires hanter son amant. Elle y parvint et souvent il rêvait d’une éolienne ; c’est-à-dire, malgré la beauté du mot, une machine bruyante, qui « brasse du vent »… Et, au réveil, désireux de lui plaire et de l’amadouer, il lui disait en l’embrassant : « J’ai encore rêvé de toi… »

Ou : « J’ai rêvé de toi cette nuit… N’insiste pas, je préfère ne pas en parler. Ce n’était en rien un rêve érotique ! »

Phrase de rêve : « J’ai cru voir un fantôme… ». Certes… Mais dans le rêve même, tu n’ignorais pas que la jeune femme que tu regardais danser, est morte depuis des années…
Et la mauvaise ironie que t’inspirent tes déboires sentimentaux passés, soudain, s’étrangle…

Présence posthume – On ne survit peut-être que dans la pensée et les rêves des autres… Ces rêves qui de façon si déroutante, abolissent la mort et où festoient les disparus et les vivants… Cette présence posthume le plus souvent trouble le rêveur, qui a conscience que quelque chose ne va pas ou que quelqu’un ne devrait pas être là… Et, agité par l’angoisse, le rêve se met à trembler, avant de s’effondrer dans la vase du réveil… Mais parfois, ayant tout oublié, le rêveur ressent une incompréhensible joie. Autour de la table, tous ses amis sont là, il n’en manque pas un seul

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À ces quelques fragments, j’ajoute avec gratitude ces lignes que j’ai découvertes dans le dernier roman de Philippe Forest, l’un des écrivains français les plus importants à mon sens ; ce que j’ai déjà noté sur ce blog à la date du 22 septembre 2017. Mais dans ce domaine – celui de nos préférences – il ne faut pas craindre de se répéter. Frédéric Perrot


« Avec chaque nuit qui revient, des spectres sortent de l’ombre où ils se tiennent. Ils reprennent le fil de leur existence ancienne. Sans même paraître avertis de leur condition. Comptant bien sur la complicité des vivants dont ils visitent le sommeil afin qu’ils ne leur apportent pas un démenti inutile et cruel. Ils ne savent rien de leur disparition. Nul ne les en a jamais informés. Ils se figurent que rien n’a changé depuis. Imperturbablement, ils vaquent à leurs occupations d’avant, répètent les paroles qu’ils ont prononcées du temps où leur bouche n’était pas encore remplie d’ombre et de terre. Ils rejouent pour l’éternité les mêmes scènes dans l’obscurité. Le film de leur vie tourne en boucle et se projette sur un écran tout blanc aux airs de linceul où ce sont toujours les mêmes images d’hier qui défilent.
Du moins tant qu’il se trouve quelqu’un pour se souvenir d’eux.
Je veux dire : tant qu’il se trouve quelqu’un pour se rappeler les avoir oubliés.
Ou bien : ils font semblant. Ils feignent de ne pas savoir ce qui leur est arrivé. De manière à ce que les vivants puissent se convaincre qu’ils l’ignorent. Interprétant leur rôle afin que le rideau ne tombe pas pour de bon sur la scène où ils reviennent, que n’arrive pas le moment de la dernière réplique, l’heure d’éteindre les dernières lumières et de se résoudre à la nuit.
Immense est la délicatesse des morts. Ils font tout leur possible afin que ceux qui les ont aimés ne s’aperçoivent pas qu’ils sont partis. Tardant à leur fausser compagnie. Pendant des années. Qui d’ailleurs durent autant que des siècles. Puisque le temps s’éternise où ils traînent. De manière à ce que quelque chose reste d’eux auprès de ceux auxquels ils font défaut et qui n’auraient pas la force de supporter leur absence sans le subterfuge des songes. »
Philippe Forest, L’oubli, 
Editions Gallimard, janvier 2018



Philippe Forest


Source Image : Le Monde.fr


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