mercredi 14 septembre 2022

Les Chants d'Omar Khayam (extraits)


 

8

L’Océan de la vie a surgi en secret,

La perle du savoir, nul n’a pu la forer.

Chacun va divaguant, poursuivant sa chimère,

Personne cependant n’a pu dire le vrai.

 

10

De la ronde éternelle, arrivée et départ,

Le début et la fin échappent au regard.

D’où venons-nous, où allons-nous ? Jamais personne

N’a dit la vérité là-dessus nulle part.

 

20

Si tu passas tes jours auprès de ton amie,

Si tu fis des plaisirs ton étude suivie,

La mort viendra pourtant. Le passé fut un rêve

Que tu continuas durant toute ta vie.

 

25

Si, de cet univers, j’étais le Dieu puissant,

Comme je l’enverrais tout entier au néant

Et le rebâtirais, afin que l’homme libre

Y puisse de bonheur trouver tout son content !

 

32

Mon cœur, puisque ce monde est une illusion,

Pourquoi t’humilier de tant de passion ?

Aie foi dans ton destin, supporte ta souffrance.

Tout est écrit : pour toi, nulle autre version.

 

34

Le bien, le mal qui sont au fond de l’être humain,

La tristesse et la joie qu’apporte le destin,

Accepte-les, sans disputer contre la Roue

Qui ne sait raisonner que mille fois moins bien.

 

35

Le jour de ma jeunesse, hélas, s’est écoulé,

Le frais printemps de l’existence est envolé

Et je n’ai pas compris, ce bel air de jeunesse,

Quand il était venu, quand il s’en est allé.

 

36

J’ai maintenant perdu le fruit de mon effort.

Oh ! que de cœurs brisés à l’heure de la mort !

Et nul n’est revenu de là-bas pour me dire

Des voyageurs partis ce que devint le sort.


51

Quand nous n’y serons plus, le monde sera là ;

Nulle trace de nous alors ne restera.

Ce monde où nous n’avions, avant, pas d’existence,

Tout pareil, après nous, il se conservera. 

 

56

Ce palais qui dressait jusqu’aux cieux ses tourelles,

Qui paraissait des rois la demeure éternelle,

J’entendais une voix sur ses créneaux brisés :

« Où, où est tout cela » disait la tourterelle.  

 

61

Le nuage a versé ses pleurs sur le verger.

Vivre sans le vin rose, il n’y faut pas songer.

Nos yeux voient ce champ vert ; demain, quelles prunelles

Verront de nos corps morts l’herbe verte émerger ?

 

75

J’ai pour foi la gaîté, la vermeille boisson,

Croire ou ne croire pas, c’est ma religion.

« Quelle est ta dot, ma fiancée ? », disais-je au Monde.

« La gaîté de ton cœur. » est ce qu’elle répond.

 

86

Le Cheikh a dit à une fille : « Tu es ivre,

On voit à chaque instant un autre homme te suivre. »

« Cheikh, c’est vrai, dit la fille, et je fais tout cela,

Mais toi-même, vis-tu comme tu devrais vivre ? »

 

93

Puisqu’il n’est pas pour nous de place dans ce monde,

Manquer d’amour, de vin, serait erreur profonde.

S’il fut ou non créé, pourquoi t’en soucier ?

Mort, qu’importe sur quoi cet univers se fonde !

 

104

Je vis un libertin couché sur le gazon,

Niant Islam, péché, monde, religion,

Justice et vérité, la loi, la certitude…

Qui dans ce monde ou l’autre aurait un tel aplomb ?

 

108

De croire à blasphémer qu’y a-t-il ? Un soupir.

Entre la certitude et le doute ? Un soupir.

Ce précieux soupir, tires-en jouissance,

Car notre vie aussi s’achève en un soupir.


111

La lune a déchiré la robe de la nuit.

Bois du vin maintenant : cela seul réjouit.

Profite du bonheur ; bientôt le clair de lune

Sur notre tombe à tous rayonnera sans bruit.

 

117

Buvons ce vin de rose à l’heure où naît l’aurore

Et brisons ce cristal du bien, du mal, encore.

Quittant nos vieux espoirs, caressons seulement,

Belles, vos longs cheveux et la harpe sonore.

 

119

Au temps des fleurs, au bord d’une rivière assis

Près de jeunes beautés, dans l’ombre d’un taillis,

Nous, buveurs matinaux qu’on nous porte nos coupes,

Nous qui ne cherchons pas mosquée ou paradis.

 

125

Pourquoi scruter ainsi cette voûte insondable ?

Bois gaîment pour passer ce temps impitoyable.

Lorsque viendra ton tour, tu ne te plaindras pas,

Car chacun doit goûter la coupe inévitable.

 

143

Veux-tu en égoïste ainsi vivre sans cesse,

Méditer l’être ou le néant ? Vaine sagesse !

Bois du vin : il vaut mieux consacrer cette vie

Porteuse de chagrin au sommeil, à l’ivresse.

 

 

 

Sadegh Hedayat

Les Chants d’Omar Khayam

Edition critique

Traduit du persan par M.F. Farzaneh et J. Malaplate.


Quatrain 56

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