mercredi 31 mai 2017

Le marronnier (poème paru dans le numéro 15 de la revue Lichen, juin 2017)

Le marronnier

                        Pour Éric Doussin, 


Pour le septième anniversaire du petit garçon
Le grand-père met en terre une simple graine
Qui avec les années deviendra un marronnier
Symbole de la complicité entre générations

Tout en binant le grand-père explique à l’enfant
Que les arbres sont de vivantes images du temps 
Et afin de l’intéresser à son activité
Les charmes et les beautés du futur marronnier

L’enfant souhaiterait courir avec le chien
Ou déterrer pour le plaisir les pommes de terre
Mais il écoute les sages leçons de son grand-père
Tandis que la nuit tombe sur le jardin

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Bien des années après
L’enfant devenu artiste
Dessine le marronnier
Le plus sombre et le plus triste

Il aimerait saluer
Cet acte de philosophie concrète
Mais il n’a pas le cœur à ça
La vie en un sens est une défaite

Et plus qu’à son enfance
Ce jardin dévasté
Il pense à son grand-père
À ses efforts pour l’élever



pour aller voir la revue d'Elisée Bec 
lichen-poesie.blogspot.com/


Pour la musique (Agnes Obel)

Agnes Obel, Aventine (2013)


Deux extraits

Chord Left : https://youtu.be/bbU31JLtlug

Run Cried the Crawling : https://youtu.be/HpFAPApnzGE

lundi 29 mai 2017

L'or du temps

L’or du temps


L’or du temps – « Le temps est ton bien le plus précieux ; c’est pourtant celui que tu dépenses avec le plus de légèreté, voire de frivolité, dans de vaines occupations, une dispersion infinie… Quand tu n’es pas simplement occupé par tes chimères et la satisfaction de tes vices.»

Une pensée qui nous rebute – Nous nous figurons toujours la mort devant nous. Mais si l’on en croit Sénèque – qui se révèle difficile à suivre sur ce point, tant cette pensée nous rebute –, la mort serait « en grande partie » derrière nous ; et, tout ce que nous avons déjà  vécu – ces innombrables jours et ces longues années –, « tout l’espace franchi est à elle…».

Naissance tardive – « Je suis né si tard, que je trouve inadmissible de devoir mourir en plus…»

Foi en l’avenir – « La tombe sera le plus imprenable des abris ; nous n’aurons plus à redouter la violence et le fanatisme de nos contemporains.»

Ou : « Il ne vivait pas dans la peur de la mort, idée trop abstraite. Il vivait dans la crainte plus précise d’être tué

            Contre le temps « biographique » – « Plus jeune, tu tenais des discours de vieillard, tu jouais au grand sage ; or plus tu prends de l’âge, et plus dans tes pensées du moins, tu rajeunis ; mais c’est peut-être seulement une illusion commune…»

Paradoxe temporel – Il n’a aucun sens historique, mais par la pensée et la rêverie, il voyage à travers les époques. Toutes lui semblent égales, car il s’y perçoit toujours dans la peau d’un esclave.

Un impatient – « Je ne suis pas seul à attendre ; d’autres attendent aussi, assis sur un banc, tandis que je fais les cent pas, excédé par le silence qui règne en ces lieux, non moins que par celui, résigné, de ceux qu’il me répugne de nommer mes semblables et qui assis sur leur banc ne daignent même pas remarquer mon agitation, perdus qu’ils sont dans le néant de leur vie intérieure. Peut-être serait-il plus juste de dire que ces quatre vieillards sont simplement exténués par l’attente… Mais je ne me soucie pas d’être juste. Je fais les cent pas et je n’en peux plus de cette attente sans objet, car si au moins je savais ce que dans ce couloir insalubre, nous attendons depuis si longtemps… »

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            Lutter contre le temps – « Nous ne sommes pas en lutte avec le temps qui passe ; l’expression même est d’un ridicule achevé… Nous nous efforçons d’habiter le temps et d’être au présent… Habiter le temps n’est encore qu’une façon de dire ; mais nous ne disposons que de ces outils imparfaits que sont les mots pour tenter de traduire notre expérience de la vie. »

           Il lui arrivait de prétendre ingénument qu’il avait passé son après-midi à « tuer le temps » –  Cela n’avait rien de glorieux ou de tragique : il voulait seulement indiquer par-là qu’il s’était occupé d’une manière ou d’une autre et qu’il s’était livré à ses broutilles habituelles, qui sont si insignifiantes, qu’elles ne portent pas à conséquence et ne font d’ailleurs de « mal à personne » !... Comme le plus souvent, il avait juste bricolé dans son coin, faute de mieux et faute de vivre son temps avec plus de profit.

            Ou : « Nous prétendons tuer le temps ; nous mettons en tous cas tout en œuvre pour ne pas y penser et ne pas en souffrir. Nous oublions simplement que ce temps est le nôtre et qu’il nous appartient de le créer… »

Modestie historique – « Nous serons nous-mêmes tenus pour des singes par nos lointains descendants… »

Paradoxe temporel – « Comme nous serions heureux, si nous possédions l’une de ces merveilleuses machines à remonter le temps des romans de science-fiction ! Comme nous pourrions alors, en revenant en arrière même de quelques années, changer les événements de notre vie, bouleverser complètement notre modeste biographie, pour lui donner un cours plus positif… Mais cela supposerait aussi que nous ayons conscience du moment où cela a commencé de mal tourner pour nous… »

Contre les prophètes – « Toutes les spéculations sur l’avenir – l’avenir de l’homme, l’avenir de sa planète, les hommes finiront-ils par périr, emportés par des guerres totales, des pandémies et des famines sans précédent, engloutis sous leurs déchets ou au gré de quelque catastrophe écologique majeure, ou encore, ce qui réglerait bien des problèmes, pulvérisés par quelque météorite venue dont on ne sait où ; enfin ce genre d’interrogations angoissées, dont se gorge notre époque –, toutes ces vaines spéculations ne nous intéressent que d’un strict point de vue intellectuel ; car comment pourrions-nous nous intéresser à un avenir où « nous ne serons pas » et que nous déplorons seulement par avance, en songeant à nos enfants… » 

Ou : « Au fur et à mesure que nous nous enfonçons dans l’avenir, comme l’a écrit un jour un peu sans réfléchir un grand romancier. Trait d’ironie facile – Mais très cher maître, votre pessimisme et peut-être votre âge vous trahissent : l’avenir n’est pas un sable mouvant… »

L’or du temps – « Ne cède pas au découragement, auquel tu es si enclin : ne pense pas que ta recherche est vaine et accomplie en pure perte, efforce-toi de faire venir au jour quelques pépites …»


                                                        Frédéric Perrot





A écouter Les chemins de la philosophie, émission du 13 mars 2017 
https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie

samedi 27 mai 2017

Le test d'humanité


L’indifférence – Ce serait le propre de l’homme de ne pas être indifférent…

L’idée risible de déchéance – « Pour parler de déchéance, il faudrait au préalable avoir été quelqu’un…»

Sans le savoir, dans son récit, il décrivit les circonstances précises de sa mort qui ne devait survenir que plusieurs années plus tard.

« Je suis mort une fois de trop. C’était la dernière.»

Etablir la juste distance – Qui est contre le mur, ne voit pas le mur.

La mort commence à peine – Ne t’y trompe pas : tel est le sens des cris de l’enfant qui naît.

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Le mensonge opère une scission ; il est comme un brusque coup de ciseaux dans l’étoffe de la réalité, une déchirure. La réalité était une ; elle devient double.

Garde-toi de la nostalgie. La nostalgie est un baume ; elle adoucit et embellit le passé. Elle pousse à s’attendrir sur soi-même.

À notre grand regret, nous devons abandonner les recherches, nous ne le retrouverons pas : il a peu à peu disparu dans les sables mouvants de sa vanité.

Un impatient – « Je n’ai pas de temps à vous consacrer, j’organise ma fuite dans l’imaginaire : comme pour ma propre santé, cela devient urgent, qu’il ne saurait être question d’ajourner davantage, veuillez me pardonner de vous planter là et de laisser vos sollicitations sans réponses.»

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Contre le pessimisme – « Si je suis pessimiste, c’est surtout par rapport à moi-même.»

Contre l’introspection aussi –  « À force de te percer à jour, tu es simplement devenu insignifiant pour toi-même.»

            La solitude n’est pas un thème disons littéraire ; elle est un fait massif, au sujet duquel le silence s’impose.

            Ou – « Comme il la comprenait mal, il respectait sa solitude ; il n’en parlait jamais.»

Il était parvenu à un tel mépris de la première personne que la moindre de ses pensées, il aurait voulu la placer entre guillemets ; comme une citation de quelqu’un d’autre.

          Examen de minuit – « Aujourd’hui, tu as encore raté quelques occasions d’être humain…»

            Ou – « Tu as passé un test d’humanité et une nouvelle fois il s’est révélé négatif.»

« Je manque d’humanité ». À peine a-t-il prononcé ces mots, dans l’intimité de sa conscience, qu’il se retrouve dans une salle des pas-perdus, où tout est mouvement et solitude soucieuse.

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Tu n’aimes pas l’idée de combat, le mot même te déplaît, mais tu es bel et bien engagé dans un combat, où il s’agit pour toi de défendre ce qui t’appartient peut-être en propre, ce substrat d’indépendance, ce refus d’être étiqueté.

L’éloignement – « Me voyant parmi vous, vous me croyez encore avec vous. Vous n’avez rien remarqué, mais je vous quitte. Imperceptiblement je glisse hors de vos sphères d’influence : vos soucis me deviennent étrangers et vos propos ne m’atteignent plus. Pour des raisons purement esthétiques, je refuse l’uniforme que vous voulez me voir porter. Je n’aime pas les rues et les villes que vous présentez à mon esprit, je n’aime pas votre appréhension des choses et votre regard sur elles, car c’est un regard de taupe ; à cette différence près que la taupe n’y est pour rien, si je puis dire : sa cécité est native.»

Ou – « Ce n’est pas un drame que nous soyons tous des consciences séparées, ainsi du moins n’avez-vous pas accès à mon univers personnel. Certes, il est minuscule, voire infime, mais j’y tiens d’autant plus et je me battrai jusqu’au bout pour le préserver de vos regards louches et de vos froides analyses.»

         Un visiteur d’un autre monde, débarquant à n’importe quel endroit de notre planète, serait sans doute interloqué. « Mais comment parvenez-vous à respirer dans un tel climat de haine ? »

        Tu n’aimes pas l’idée de combat, le mot même te déplait, mais tu l’emploies… Tu te refuses à employer le mot lutte, dont « l’extension » à tous les domaines de la vie te paraît bien regrettable.

        Contre la psychologie et ses excès – « Pardonnez-moi si je garde mes distances, mais je suis allergique à vos explications d’ordre psychologique.»

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           Illusions – « J’ai vécu porté par nombre d’illusions. Par exemple, je me disais : un poète ne se résout pas au massacre de la parole. Quand j’ai constaté que les poètes ou ceux qui se disaient tels, au contraire, y participaient et même activement, j’ai préféré m’écarter, m’éloigner et me taire.»

        Rapports humains – « Nous ne tuons personne, nos crimes sont symboliques… Mais ces êtres symboliquement tués, n’existent plus pour nous.»

Le test d’humanité s’est révélé définitivement négatif.

Mais grâce vous soit rendue – « Sans vous, je n’aurais jamais su que je pouvais haïr autant.»
           

                                                                                Frédéric Perrot


            Pour la musique : 

            https://youtu.be/5Sa5MtN4Bo


jeudi 25 mai 2017

Un aller simple

Un aller simple


Comme l’écrivait à peu près Lichtenberg, vous trouverez quelques renseignements sur lui à la rubrique « Ivrognerie ».

Il est des personnes qui n’ont que le mot repos en bouche. À croire que le but ultime de cette vie serait de se reposer… À ce genre de personnes, il serait agréable de suggérer qu’elles auront toute l’éternité pour se reposer.

On ne manquera pas de reprocher à un mélancolique d’en être un ; quitte à le blâmer pour son fatal penchant et sa complaisance à s’y abandonner… Mais on ne reprochera jamais à un enthousiaste de n’être qu’un imbécile.

Nos petites vérités ne nous tuent pas ou trop lentement ou trop tard.

Que la vie n’ait aucun sens, il s’en était convaincu par le raisonnement ; mais, au jour le jour, cela le consternait.

Il se sentait parfois bien seul – Tant tout autour de lui, on ne parlait que de piscines à construire, d’enfants faits ou à faire, de crédit et d’heures supplémentaires, tout cela inscrit dans la perspective encore lointaine d’une retraite méritée.
Il se sentait parfois bien seul, désarçonné par le matérialisme « têtu » de ses contemporains.

De même, il trouvait ridicule que l’on nommât individualiste une société qui ne l’était pas. Il avait de la chance, des individus, il en avait rencontré et connu quelques-uns…

« Finalement on se contente de peu, se disait-il, car, au jour le jour, on oublie que cette vie n’est qu’un aller simple… »  
                                           


                           (janvier 2010 - texte revu mai 2017)





La phrase de Lichtenberg, à laquelle il est fait allusion : « Si je fais un jour une édition sur sa vie, courez vite à l’index aux mots Bouteille et Vanité ; ce sont là les entrées les plus importantes.» (Le miroir de l'âme, Cahier B, 255)

                                                                            Frédéric Perrot



jeudi 18 mai 2017

L'or du temps (en cours)

L’or du temps


L’or du temps – « Le temps est ton bien le plus précieux ; c’est pourtant celui que tu dépenses avec le plus de légèreté, voire de frivolité, dans de vaines occupations, une dispersion infinie… Quand tu n’es pas simplement occupé par tes chimères et la satisfaction de tes vices.»

Une pensée qui nous rebute – Nous nous figurons toujours la mort devant nous. Mais si l’on en croit Sénèque – qui se révèle difficile à suivre sur ce point, tant cette pensée nous rebute –, la mort serait « en grande partie » derrière nous ; et, tout ce que nous avons déjà vécu – ces innombrables jours et ces longues années –, « tout l’espace franchi est à elle…».

Naissance tardive – « Je suis né si tard, que je trouve inadmissible de devoir mourir en plus…»

Foi en l’avenir – « La tombe sera le plus imprenable des abris ; nous n’aurons plus à redouter la violence et le fanatisme de nos contemporains.»

Ou : « Il ne vivait pas dans la peur de la mort, idée trop abstraite. Il vivait dans la crainte plus précise d’être tué

            Contre le temps « biographique » – « Plus jeune, tu tenais des discours de vieillard, tu jouais au grand sage ; or plus tu prends de l’âge, et plus dans tes pensées du moins, tu rajeunis ; mais c’est peut-être seulement une illusion commune…»

Paradoxe temporel – Il n’a aucun sens historique, mais par la pensée et la rêverie, il voyage à travers les époques. Toutes lui semblent égales, car il s’y perçoit toujours dans la peau d’un esclave.

Un impatient – « Je ne suis pas seul à attendre ; d’autres attendent aussi, assis sur un banc, tandis que je fais les cent pas, excédé par le silence qui règne en ces lieux, non moins que par celui, résigné, de ceux qu’il me répugne de nommer mes semblables et qui assis sur leur banc ne daignent même pas remarquer mon agitation, perdus qu’ils sont dans le néant de leur vie intérieure. Peut-être serait-il plus juste de dire que ces quatre vieillards sont simplement exténués par l’attente… Mais je ne me soucie pas d’être juste. Je fais les cent pas et je n’en peux plus de cette attente sans objet, car si au moins je savais ce que dans ce couloir insalubre, nous attendons depuis si longtemps… »

mercredi 17 mai 2017

le rêve d'Icare

Le rêve d’Icare

                        Pour Laurent,

« Pour un moderne, qui ne croit ni aux dieux ni au ciel, Icare est mort d’avoir oublié les sages conseils de son père, d’avoir été un fils au sens fort du terme ; et ses ailes brisées qui flottent à la surface ne sont que les émouvantes traces d’une révolte inutile… » 1


                                                                  Fernando Zobel, Icare
           

Pour des raisons qui n’ont rien de frivole
L’homme envie l’oiseau

Et dans ses imaginations les plus folles
Ses rêves joyeusement il vole

Se désenglue décolle

Oh comme il est faux de dire
Qu’il aime le sol 

Ce qui accroche et s’enfonce
Les racines et les ronces !

« Avoir les pieds sur terre »
Est l’idéal médiocre par excellence

 « Descends de ton nuage » 
Ce qu’on nous a seriné toute l’enfance…

Or même un instant un enfant est comme Icare
Lui-même fils de Dédale

(Architecte de génie
C’est tout ce qu’on sait de lui :
Cette imposante filiation…)

Il regarde vers le haut !
Et durant toute sa vie

Aura la nostalgie
Des envols inaccomplis

De l’étoile
Et du ciel natal !













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1- Pour le plaisir de la citation fictive.


Pour aller voir le blog de Laurent
fuegodelfuego.blogspot.com