mardi 17 juin 2025

Une publication de Marie-Anne Bruch sur son blog, La Bouche à Oreilles

Un grand merci à la poétesse Marie-Anne Bruch d’avoir consacré ce jour une publication de son excellent blog, La Bouche à Oreilles, aux deux musiques et vidéos réalisées par l’ami Nicolas Schiochet à partir de mes poèmes : Edition spéciale et Chaque planète que nous abordons est morte. Frédéric Perrot 

Pour voir la publication :

https://laboucheaoreilles.wordpress.com/2025/06/17/deux-videos-sur-des-poemes-de-frederic-perrot/

Pour lire le poème de Marie-Anne Bruch, Laissez l’horizon tranquille :

https://beldemai.blogspot.com/2021/12/laissez-lhorizon-tranquille-un-poeme-de.html




dimanche 8 juin 2025

Gilles Deleuze, Le couple déborde (un extrait de Pourparlers)

 



On fait parfois comme si les gens ne pouvaient pas s’exprimer. Mais, en fait, ils n’arrêtent pas de s’exprimer. Les couples maudits sont ceux où la femme ne peut pas être distraite ou fatiguée, sans que l’homme dise : « Qu’est-ce que tu as ? exprime toi… », et l’homme sans que la femme…, etc. La radio, la télévision ont fait déborder le couple, l’ont essaimé partout, et nous sommes transpercés de paroles inutiles, de quantités démentes de paroles et d’images. La bêtise n’est jamais muette ni aveugle. Si bien que le problème n’est plus de faire que les gens s’expriment, mais de leur ménager des vacuoles de solitude et de silence à partir desquelles ils auraient enfin quelque chose à dire. Les forces de répression n’empêchent pas les gens de s’exprimer, elles les forcent au contraire à s’exprimer. Douceur de n’avoir rien à dire, droit de n’avoir rien à dire, puisque c’est la condition pour que se forme quelque chose de rare ou de raréfié qui mériterait un peu d’être dit. Ce dont on crève actuellement, ce n’est pas du brouillage, c’est des propositions qui n’ont aucun intérêt. Or ce qu’on appelle le sens d’une proposition, c’est l’intérêt qu’elle présente. Il n’y a pas d’autre définition du sens, et ça ne fait qu’un avec la nouveauté d’une proposition. On peut écouter des gens pendant des heures : aucun intérêt… C’est pour ça que c’est tellement difficile de discuter, c’est pour ça qu’il n’y a pas lieu de discuter, jamais. On ne va pas dire à quelqu’un : « Ça n’a aucun intérêt, ce que tu dis ! » On peut lui dire : « C’est faux. » Mais ce n’est jamais faux, ce que dit quelqu’un, c’est pas que ce soit faux, c’est que c’est bête ou que ça n’a aucune importance. (1) C’est que ça a été dit mille fois. Les notions d’importance, de nécessité, d’intérêt sont mille fois plus déterminantes que la notion de vérité. Pas du tout parce qu’elles la remplacent, mais parce qu’elles mesurent la vérité de ce que je dis. Même en mathématiques : Poincaré disait que beaucoup de théories mathématiques n’ont aucune importance, aucun intérêt. Il ne disait pas qu’elles étaient fausses, c’était pire.

 

 

(1) On pourrait objecter à Gilles Deleuze qu’il sous-estime la malhonnêteté intellectuelle, et l’intérêt tout idéologique que trouvent certains médias à propager et asséner le faux du matin au soir. La crapulerie de quelques détestables éditocrates, qui ne cessent jamais d’intervenir dans ce qu’ils ont le toupet de nommer le débat public, semble sans limites, donne le vertige… Ce « dont on crève actuellement », en 2025, c’est de la masse insensée des discours mensongers, dont leurs auteurs savent bien qu’ils sont mensongers, sans que cela n’ait la moindre importance, comme le prouverait suffisamment le concept de « post-vérité ».


jeudi 5 juin 2025

René Char, Fastes


 

L’été chantait sur son roc préféré quand tu m’es apparue, l’été chantait à l’écart de nous qui étions silence, sympathie, liberté triste, mer plus encore que la mer dont la longue pelle bleue s’amusait à nos pieds.

 L’été chantait et ton cœur nageait loin de lui. Je baisais ton courage, entendais ton désarroi. Route par l’absolu des vagues vers ces hauts pics d’écume où croisent des vertus meurtrières pour les mains qui portent nos maisons. Nous n’étions pas crédules. Nous étions entourés.

Les ans passèrent. Les orages moururent. Le monde s’en alla. J’avais mal de sentir que ton cœur justement ne m’apercevait plus. Je t’aimais. En mon absence de visage et mon vide de bonheur. Je t’aimais, changeant en tout, fidèle à toi.


mardi 3 juin 2025

L'éclaircie (pour Cyril et Élise)


 

Après l’orage et les feux d’artifice, le vent chasse les nuages, est signé l’armistice : le ciel est réconcilié avec le jour.

Venu du village pour tituber dans le crépuscule mauve, l’élagueur taille les ronciers, les broussailles. Malgré sa lourde ivresse, ses gestes sont précis et la sueur au front, accomplit son travail…

Une soudaine éclaircie lui fait apercevoir deux amants renversés sous les arbres, dans l’herbe humide, scintillante de rosée. Leurs gestes sont précis, ils savent leur histoire et la nuit s’avançant, n’ont de cesse de se réconcilier.

Ils s’aiment et s’aiment encore, sous le regard vitreux du pauvre homme de peine, qui retient une larme et s’en va ; quand dans le silence nauséeux du soir, éclate un rire sauvage.


 Le texte appartient au recueil Les heures captives (décembre 2012). Frédéric Perrot