Chaque
semaine, la grand-mère regardait une émission de femmes qui accouchent. Les
femmes s’allongeaient devant les membres du jury, elles relevaient leurs jupes.
Les membres du jury prenaient des notes, ils observaient l’intérieur de ces
femmes avec une loupe. Les femmes écartaient leurs jambes, elles poussaient,
les bébés finissaient par naître. Si le
bébé était mort, c’était un mauvais point. Si le bébé était bleu ou rouge,
c’était un mauvais point. Si le cordon l’étranglait, c’était un mauvais point.
Mais si le bébé était beau, c’était gagné. S’il avait des cheveux, c’était
gagné. S’il n’était pas gluant, c’était gagné. Si le bébé souriait, on
applaudissait. Les mères préparaient l’émission des mois à l’avance, elles
parlaient aux fœtus à travers le ventre, elles leur demandaient de sourire et
d’être en bonne santé, de remuer les jambes. Si le bébé avait un corps
proportionné, réglementaire, c’était gagné. Le président du jury
annonçait : On continue l’aventure. Si le bébé pleurait, c’était logique,
mais ce n’était pas conseillé. On tolérait. Si le bébé pleurait longtemps,
c’était un mauvais point, on coupait le micro. Une voix grave prononçait les
mots : Au revoir. Si la mère était belle, si elle était maquillée, si elle
était coiffée, c’était un bon point. Les membres du jury la félicitaient, ils
lui faisaient des compliments, ils regardaient la caméra et ils disaient :
Elle a compris le principe de l’émission. Si la mère poussait en souriant, si
elle poussait en riant, si elle poussait sans transpirer, si elle poussait sans
crier, si elle poussait sans pleurer, elle pouvait rester. Quelqu’un
disait : On continue l’aventure. Quand la mère était laide, on
n’applaudissait pas, on n’applaudissait rien, ni elle ni le bébé. Les membres
du jury avaient une expression de gêne et de désolation. Leurs bouches se
dirigeaient vers le bas du visage et ils l’éliminaient. Le public sifflait. Si
la mère mourait, c’était un mauvais point, on ne la filmait plus, et on ne
filmait pas l’enfant. Même en vie, on ne le filmait pas. Il avait tout perdu.
La caméra se concentrait sur les membres du jury. Ils étaient touchés, on leur
apportait des mouchoirs qu’ils tapotaient contre leurs joues. Des notes aiguës
de piano accompagnaient la scène. Un membre du jury disait : On doit
continuer. Ils utilisaient l’expression : Ne rien lâcher. Et la chanson The
Show must go on était diffusée à fond. Les membres du jury se prenaient
dans les bras puis ils dansaient. Ils levaient le poing dans les airs et le public
tendait les bras vers la lumière. Si le père était présent, c’était un bon
point. Si la mère était lesbienne et que l’autre mère était présente, c’était
un très bon point. Les membres du jury employaient le mot : Diversité, et
l’expression : Comme tout le monde. Le président du jury félicitait les
parents : On continue l’aventure. Si le père ou l’autre mère embrassait la
mère accoucheuse, on applaudissait. Les membres du jury penchaient la tête à
droite ou à gauche en signe de tendresse. Les visages étaient filmés sur une
musique de carillons et tout le monde souriait. Tout le monde touchait les
mains de tout le monde. Tout le monde caressait les épaules et le dos de tout
le monde. S’il n’y avait pas de père et pas d’autre mère, c’était un bon ou un
mauvais point, ça dépendait de la mère, ça dépendait de sa coiffure, de sa
tenue, de son allure. Est-ce que le deuxième parent avait bien fait de la
quitter ? Est-ce qu’on pouvait comprendre ? Le jury décidait. Les
jurés notaient des choses sur leurs tablettes puis ils traçaient un grand
cercle et ils finissaient par un point au milieu de l’écran. Quand le placenta
tombait, c’était un bon point, on applaudissait. Quand le placenta restait dans
le ventre, c’était un mauvais point, à cause des complications, à cause des
objets métalliques qu’il fallait utiliser. La scène n’intéressait personne,
trop longue, trop compliquée. On coupait le micro, on annonçait la suite. Si la
mère caressait son bébé, c’était un bon point, les membres du jury
applaudissaient, ils faisaient oui de la tête. Le président du jury employait
les expressions : Moment de vie, et : Créer du lien. Si la mère
regardait son bébé et qu’elle le trouvait laid, on le voyait sur sa figure,
c’était un mauvais point. Les bébés laids se faisaient siffler. Les mères qui
n’aimaient pas leurs bébés se faisaient huer, on leur jetait des chaussures, on
leur mettait des pouces vers le bas. Un jour, un bébé est sorti presque mort du
ventre de sa mère. Ses yeux étaient ouverts, mais il ne bougeait pas. Un membre
du jury l’a pris dans ses mains, il l’a soulevé, et il a dit : Tu veux
vivre ou non ? Oui ou non ? On a besoin de savoir, mais le bébé
n’avait pas donné de réponse. La mère avait pleuré sans sourire. Alors, les
membres du jury ont exprimé une grimace personnelle selon leur type de figure.
Ils ont remué leurs têtes, et le président s’est adressé à la mère, il a
dit : Le suicide est la première cause de mortalité des femmes dans
l’année qui suit l’accouchement, faites attention, c’est statistique.
Laura
Vazquez
La
semaine perpétuelle
Editions du sous-sol
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