samedi 30 septembre 2023

André Breton, Sur la route de San Romano


 

La poésie se fait dans un lit comme l’amour

Ses draps défaits sont l’aurore des choses

La poésie se fait dans les bois

 

Elle a l’espace qu’il lui faut

Pas celui-ci mais l’autre que conditionnent

 

                               L’œil du milan

                               La rosée sur une prèle

                               Le souvenir d’une bouteille de Traminer

embuée sur un plateau d’argent

                               Une haute verge de tourmaline sur la mer

                               Et la route de l’aventure mentale

                               Qui monte à pic

                               Une halte elle s’embroussaille aussitôt

 

Cela ne se crie pas sur les toits

Il est inconvenant de laisser la porte ouverte

Ou d’appeler des témoins

 

                               Les bancs de poissons les haies les mésanges

                               Les rails à l’entrée d’une grande gare

                               Les reflets des deux rives

                               Les sillons dans le pain

                               Les bulles du ruisseau

                               Les jours du calendrier

                               Le millepertuis

 

L’acte d’amour et l’acte de poésie

Sont incompatibles

Avec la lecture du journal à haute voix

 

                               Le sens du rayon de soleil

                               La lueur bleue qui relie les coups de hache

                                           du bûcheron

                               Le fil du cerf-volant en forme de cœur ou de nasse

                               Le battement en mesure de la queue des castors

                               La diligence de l’éclair

                               Le jet de dragées du haut des vieilles marches

                               L’avalanche

 

La chambre aux prestiges

Non messieurs ce n’est pas la huitième Chambre

Ni les vapeurs de la chambrée un dimanche soir

                              

Les figures de danse exécutées en transparence

                                           au-dessus des mares

                               La délimitation contre un mur d’un corps

                                           de femme au lancer de poignards

                               Les volutes claires de la fumée

                               Les boucles de tes cheveux

                               La courbe de l’éponge des Philippines

                               Les lacés du serpent corail

                               L’entrée du lierre dans les ruines

                               Elle a tout le temps devant elle   

 

L’étreinte poétique comme l’étreinte de chair

Tant qu’elle dure

Défend toute échappée sur la misère du monde

 

 

                                                                                                 1948


mercredi 27 septembre 2023

La cruauté n'est pas ma tasse de thé (pour Richard)

 

La cruauté n’est pas ma tasse de thé

Mais jamais je n’aurais cru

Tomber si bas pour une ombre

De femme tourmentée

Ou une bourgeoise prétentieuse

 

La cruauté n’est pas ma tasse de thé

Et la souffrance encore moins

Je dois être un rêveur

Qui ne veut pas se frotter

De trop près à la réalité !

 

La cruauté n’est pas ma tasse de thé

Mon but n’est pas de dire

Leurs quatre vérités

À tant de sombres idiots

Se prétendant poètes artistes

Génies ou que sais-je encore

 

La cruauté n’est pas ma tasse de thé

Je n’écris pas pour me venger

Et l’amer breuvage bu

Tout au fond il n’y a

Que la lie de l’indifférence

 

 

               Frédéric Perrot


mardi 26 septembre 2023

Jour de fête


 


C’est jour de fête

Les idiots se gorgent de rêves

Écrivent dans l’air

Un nom aimé

 

Plus tard ils se gorgeront

Seulement de bières

Comme tout le monde

Sous les enseignes lumineuses

 

Peu importe ce que l’on fête

Il s’agit d’être dehors dans la rue

Parmi les cris et les mouvements désordonnés

De toute une foule d’excités

 

L’homme seul aime les marées humaines 

Et observer la joie des autres

Peu importe ce que l’on fête

Et peu importe le lendemain

 

 

Ce poème écrit en 2015 à Marseille appartient au recueil Les Fontaines jaillissantes (avril 2021). Frédéric Perrot

lundi 25 septembre 2023

Guillaume Apollinaire, Cors de chasse

Félix Vallotton, La paresse (1896)

 

Notre histoire est noble et tragique

Comme le masque d’un tyran

Nul drame hasardeux ou magique

Aucun détail indifférent

Ne rend notre amour pathétique

 

Et Thomas de Quincey buvant

L’opium poison doux et chaste

A sa pauvre Anne allait rêvant

Passons passons puisque tout passe

Je me retournerai souvent

 

Les souvenirs sont cors de chasse

Dont meurt le bruit parmi le vent

 

lundi 18 septembre 2023

La solitude imaginaire


La pensée des autres

Sans cesse le pénètre

On entre dans sa tête

Comme dans un moulin

On y reste à demeure

Comme des parasites

 

Pourtant

Le menu est maigre

Il n’y a rien à piller

La porte grince un peu

L’endroit est désolant

Son état de ruine

Explique la poussière

Pour la touche réaliste

Ou gothique selon

Les murs se couvrent

De toiles d’araignées

Et les vieilles poutres

La charpente effondrée

De fientes de pigeons

D’un sac de farine éventré

Surgissent d’infâmes choses

Que l’on peine à nommer

Des papillons

Tant leur vol est répugnant

Et tant elles retournent vite

À leur poussière native

 

Il souhaiterait être seul

 

Mais la pensée des autres

Sans cesse le pénètre

On entre dans sa tête

Comme dans un moulin

 

 

      Ce poème a été écrit en 2016. Frédéric Perrot


dimanche 17 septembre 2023

Henri Michaux, Deux extraits de Mes propriétés


 

           Mes occupations

 

    Je peux rarement voir quelqu’un sans le battre. D’autres préfèrent le monologue intérieur. Moi, non. J’aime mieux battre.

       Il y a des gens qui s’assoient en face de moi au restaurant et ne disent rien, ils restent un certain temps, car ils ont décidé de manger.

       En voici un.

       Je te l’agrippe, toc.

Je te le ragrippe, toc.

Je le pends au porte-manteau.

Je le décroche.

Je le repends.

Je le redécroche.

Je le mets sur la table, je le tasse et l’étouffe.

Je le salis, je l’inonde.

Il revit.

Je le rince, je l’étire (je commence à m’énerver, il faut en finir), je le masse, je le serre, je le résume et l’introduis dans mon verre, et jette ostensiblement le contenu par terre, et dis au garçon : « Mettez-moi donc un verre plus propre. »

Mais je me sens mal, je règle promptement l’addition et je m’en vais.

 

 

La simplicité

 


Ce qui a manqué surtout à ma vie jusqu’à présent, c’est la simplicité. Je commence à changer, petit à petit.

Par exemple, maintenant, je sors toujours avec mon lit, et quand une femme me plaît, je la prends et couche avec aussitôt.

Si ses oreilles sont laides et grandes ou son nez, je les lui enlève avec ses vêtements et les mets sous le lit, qu’elle retrouve en partant ; je ne garde que ce qui me plaît.

Si ses dessous gagneraient à être changés, je les change aussitôt. Ce sera mon cadeau. Si cependant je vois une femme plus plaisante qui passe, je m’excuse auprès de la première et la fais disparaître immédiatement.

Des personnes qui me connaissent prétendent que je ne suis pas capable de faire ce que je dis là, que je n’ai pas assez de tempérament. Je le croyais aussi, mais cela venait de ce que je ne faisais pas tout comme il me plaisait. 

Maintenant j’ai toujours de bonnes après-midi. (Le matin, je travaille.)

 

jeudi 14 septembre 2023

Pixies, Wave of mutilation (pour Nicolas)


 

Cease to resist, giving my goodbye
Drive my car into the ocean
You’ll think I’m dead, but I sail away
On a wave of mutilation
A wave of mutilation
Wave of mutilation
Wave
Wave

I’ve kissed mermaids, rode the El Nino
Walked the sand with the crustaceans
Could find my way to Mariana
On a wave of mutilation
Wave of mutilation
Wave of mutilation
Wave
Wave

Wave of mutilation
Wave of mutilation
Wave of mutilation
Wave
Wave

 

Pour écouter Wave of mutilation :


https://youtu.be/RuHeAs0rw5M?si=qB9GukZam-UWAp6q