jeudi 3 novembre 2022

Deux poèmes de Renaud Rohrl


 

Insomnie

 

Divisée en vies,

Cette nuit m’a démembré.

L’esprit, mon lit,

Se sont envolés

On me les a donnés,

On me les a repris.

Faux lit !

M’a trompé !

Mon esprit

Chamaillé

Me l’a dit !

Endormi,

Déraisonné,

Je l’étais ?

Les tours, dis,

Existaient ?

Le lit – Vrai ! –,

Me l’a dit ?

Quand tout avait tourné ?

Réveillé,

Je me suis.

Et maintenant je sais,

Je me suis amusé,

J’ai ri,

J’ai compris.

Assortis,

Ce lit vert,

Mon esprit,

Dégénèrent.

Négation de la nuit,

Insomnie en hiver.  

 

 

Dissociation

 

L’âme et le corps,

Agités

Dans l’obscurité

Suave et suintée

Se sont

L’un de l’autre

Éloignés,

Jusqu’à l’aube

Se sont

Étirés

Et,

Aux premières lueurs,

– Malheur ! –

Se sont dissociés.

 

 

Les deux poèmes sont extraits du livre de Renaud Rohrl, Onirismes (Poèmes et hybrides) paru en mars 2022.  

 

mercredi 2 novembre 2022

Un poète est mort (de Bernard Ebel)

 

         hommage à Serge Reggiani

 

 

Un poète est mort

Dit le journal télévisé

Un poète est mort

La nouvelle vient de tomber

Un poète n’est jamais mort

S’il nous a fait rêver

Un poète n’est jamais mort

Il s’en est allé

Nous laissant ses mots

Comme ultime cadeau

Un poète est mort

Il n’a pas disparu

Il a quitté le port

Son bateau s’est perdu

Dans la brume du temps

Un poète n’est jamais mort

Un poète n’est jamais vivant

Comment pourrait-il être mort ?

 

 

26 juillet 2004

 

 

           

Bernard a lu ce poème hier soir à L’épuisette à étoiles.

mardi 1 novembre 2022

Frédéric Bach, La bascule (une critique de Jean-Paul Klée)


 

À la demande urgente de l’auteur – Frédéric Bach – je publie cette critique de Jean-Paul Klée au sujet de son roman, La bascule !

Blague à part, La bascule est un très bon roman, surréaliste en son genre, comme Les valseuses ou Buffet froid ou Série noire, que j’ai déjà évoqué sur ce blog, sont des films proprement surréalistes, qui font honneur au cinéma français, dont je ne dirai rien par ailleurs, n’aimant pas les généralités ! On sait combien le surréalisme dans le sillage de Breton méprisait le roman. Seul Aragon parmi les surréalistes historiques a écrit des romans. Frédéric Bach prouve que roman et surréalisme ne sont pas incompatibles. Narration déconcertante, humour noir, point de vue constamment décalé… Le narrateur est sans doute fou et même s’il se rêve en tueur en série, on est tout prêt à le suivre au gré de ses mésaventures hélas ordinaires, qui sont celles de tant de gens…

Recherche d’emploi, recherche d’amour, recherche de quelque chose, on ne sait même pas quoi, mais qui donnerait sens à cette vie…

 

Pour lire la critique de Jean-Paul Klée :

 

https://frederic-bach.com/2019/10/31/une-critique-de-jean-paul-klee/


Haddock Solo (pour Arthur)

Hambourg

mardi 25 octobre 2022

Assez de gémissements et d'indignations ! (un extrait de Raoul Vaneigem)

 


Assez de chants funèbres au milieu des décombres ! Le système dont nous dénonçons la barbarie a été produit par l’homme, à l’encontre de ce qu’il y avait en lui d’authentiquement humain.

Dans l’infinitude des expériences auxquelles elle se livre, la vie a créé une terre habitable, elle a réuni les conditions d’apparition et de disparition de créatures aussi différentes que les dinosaures et le rameau néanderthalien de l’efflorescence hominienne.

Foin du fatras métaphysique qui a fait si longtemps mystère de cette exubérance expérimentale dont nous sommes issus et dont nous faisons partie ! Car si l’hominien n’est qu’un élément, parmi beaucoup d’autres, de cette vie dont la nature est d’expérimenter sans relâche, c’est le privilège extraordinaire qui, dans le brassage chaotique de la forge universelle, a été attribué à notre espèce.

Nous sommes partie prenante de cette vitalité partout à l’œuvre. Nous sommes dotés de la faculté de nous créer et de recréer le monde, à l’image de cette vie que la transformation de notre potentiel créatif en force de travail va déformer en une représentation caricaturale et monstrueuse, en une entité extraterrestre, en un Dieu dévoreur d’énergie auquel la force vive des femmes et des hommes sera méthodiquement sacrifiée.

Nos ancêtres, obéissant à un choix douteux, furent les fauteurs d’une expérience malencontreuse (pour fondamentale qu’elle fût, elle n’est pas le seul exemple d’une orientation autodestructrice : la fission de l’atome en est un autre). Ils ont substitué à une société évoluant en symbiose avec la nature une économie de pillage et de viol, une société criminelle, dénaturant nature terrestre et nature humaine. Les vouer aux gémonies ne ferait que prendre à contre-pied ces apologistes de la société patriarcale qui, de Gilgamesh aux historiens et aux archéologues, professent que l’invention de l’agriculture et du commerce « offrait » la plus sûre garantie d’un bien-être pour tous.

Nous continuons d’avoir le mal d’un pays que nous ne connaissons pas, parce que nous n’avons jamais résolu vraiment de l’explorer.

 

 

Extrait de la quatrième de couverture :

 

Raoul Vaneigem, né en 1934, est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations (Gallimard, 1967) et Histoire désinvolte du surréalisme (réédition Libertalia, 2013). L’on constatera dans ce petit essai poétique et politique qu’il n’a rien perdu de sa pugnacité. Une prose explosive qu’il met au service de la révolution et de la sauvegarde de la planète, ici et maintenant.


Albert Camus, L'homme révolté (notes au fil de la lecture)


 

« L’homme est la seule créature qui refuse d’être ce qu’elle est. »

 

« Les suicides de protestation » : « Remarquons ensuite que la révolte ne naît pas seulement, et forcément, chez l’opprimé, mais qu’elle peut naître aussi au spectacle de l’oppression dont un autre est victime. Il y a donc, dans ce cas, identification à l’autre individu. Et il faut préciser qu’il ne s’agit pas d’une identification psychologique, subterfuge par lequel l’individu sentirait en imagination que c’est à lui que l’offense s’adresse. Il peut arriver au contraire qu’on ne supporte pas de voir infliger à d’autres des offenses que nous-mêmes avons subies sans révolte. Les suicides de protestation, au bagne, parmi les terroristes russes dont on fouettait les camarades, illustrent ce grand mouvement.»

 

« Le ressentiment est très bien défini par Scheler comme une auto-intoxication, la sécrétion néfaste, en vase clos, d’une impuissance prolongée. La révolte au contraire fracture l’être et l’aide à déborder. »

 

Sur Sade – « L’écrivain, malgré quelques cris heureux et les louanges inconsidérées de nos contemporains, est secondaire. »

 

« Dès l’instant où l’homme soumet Dieu au jugement moral, il le tue en lui-même. »

 

« Si le nihilisme est l’impuissance à croire, son symptôme le plus grave ne se retrouve pas dans l’athéisme, mais dans l’impuissance à croire ce qui est, à voir ce qui se fait, à vivre ce qui s’offre. »

 

« Le chaos lui aussi est une servitude. » 

 

« Pour ne pas se haïr soi-même, il faudrait se déclarer innocent, hardiesse toujours impossible à l’homme seul ; son empêchement est qu’il se connaît. »

 

Sur André Breton – « … faute de pouvoir se donner la morale et les valeurs dont il a clairement senti la nécessité, on sait assez que Breton a choisi l’amour. Dans la chiennerie de son temps, et ceci ne peut s’oublier, il est le seul à avoir parlé profondément de l’amour. »

 

« L’insurrection humaine, dans ses formes élevées et tragiques, n’est et ne peut être qu’une longue protestation contre la mort, une accusation enragée de cette condition régie par la peine de mort généralisée. »

 

Sur la mort de Louis XVI – « Certes, c’est un répugnant scandale d’avoir présenté comme un grand moment de notre histoire l’assassinat public d’un homme faible et bon.»

 

Sur Hitler – « Hitler présente le cas, unique peut-être dans l’histoire, d’un tyran qui n’a rien laissé à son actif. Pour lui-même, pour son peuple et pour le monde, il n’a été que suicide et meurtre. »


« L’abstraction, propre au monde des forces et du calcul, a remplacé les vraies passions qui sont du domaine de la chair et de l’irrationnel. »

 

 

Ces quelques notes ont été prises en février 2020. Frédéric Perrot

lundi 24 octobre 2022

L'escalier du rêve

 

                                              L’existence du sommeil est un matelas désossé.

 

                                                                            pour Clavig

 

 

Abolissant les distances, l’escalier du rêve à mesure que ses degrés se forment, entraîne dans son sillage le promeneur égaré qui en une nuit ancienne a posé le pied sur la première de ses marches et depuis lors emporté par son mouvement perpétuel et propre à donner une idée fausse sans doute de l’infini, contemple des étendues glacées, des immensités de ruines, des paysages désolés.

l’autre nuit je t’ai entendue dans la pièce du fond pendant de longues heures le cœur débordant de haine j’avais observé les lumières à tes fenêtres en attendant de pouvoir pénétrer d’une façon ou d’une autre dans ton immeuble il n’y avait sur le parking que quelques voitures un couple d’étudiants parfois entrait dans l’un des immeubles de la résidence et je ne pouvais me retenir de penser à ce qu’ils allaient faire et je ne pouvais me retenir de baisser honteusement les yeux

Parfois sur l’une des marches de l’escalier du rêve traîne encore dans la poussière quelque objet dont l’usage s’est perdu et le promeneur résistant au mouvement perpétuel et propre à donner une idée sans doute fallacieuse de l’infini qui l’emporte dans son sillage à mesure que les degrés se forment et que s’abolissent les distances, s’attarde à regarder cette pauvre chose sans nom, ce résidu des temps anciens, cette insignifiante relique.

l’autre nuit je t’ai entendue dans la pièce du fond tes cris et tes soupirs me déchiraient jamais avec moi n’est-ce pas cela n’avait été ainsi jamais avec moi n’est-ce pas tu n’avais crié et soupiré ainsi j’ignorais même que ton lit grinçait n’est-ce pas et j’ignorais même n’est-ce pas que tu pouvais prononcer de telles obscénités et à mesure que j’avançais dans l’obscurité s’imposait à moi l’idée de ce que je devais faire

Parfois aussi terriblement s’interrompt le mouvement perpétuel et propre à donner une idée de l’infini sans doute fausse et le promeneur immobile qui tremble de froid et se sent envahi par une angoisse indistincte, se retient de jeter un regard dans l’abîme immense au-dessus duquel est tendu l’escalier du rêve, se retient de céder à son vertige, se retient de s’y abandonner en songeant que ce ne serait encore qu’une fin douteuse

l’autre nuit je t’ai entendue dans la pièce du fond tes cris et tes soupirs me déchiraient jamais avec moi n’est-ce pas jamais avec moi n’est-ce pas et à mesure que brisé je reculais dans l’obscurité s’imposait à moi la pensée que jamais n’est-ce pas je ne ferais ce que je devais faire et que pour moi commençaient des temps terribles où j’allais contre moi-même retourner toute cette haine

 

Le texte écrit au début des années 2000 m’a été inspiré par les photographies de deux installations artistiques de l’ami Clavig baptisées « L’existence du sommeil » et « L’escalier du rêve ». Il appartenait à cette époque à un « triptyque » sur le thème de la jalousie (La rumeur, L’escalier du rêve, La jalousie…). Frédéric Perrot

 

Pour lire La rumeur et La jalousie :


http://beldemai.blogspot.com/2019/03/la-rumeur-avec-un-dessin-deric-doussin.html


http://beldemai.blogspot.com/2018/11/la-jalousie-accompagne-dun-dessin-deric.html