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Valentine |
dimanche 5 avril 2020
samedi 4 avril 2020
Toutes les aberrations de l'esprit sont disponibles
Court
hommage à Isidore Ducasse, plus connu sous le nom de Lautréamont, né le 4 avril
1846 à Montevideo
Toutes les aberrations de l’esprit sont
disponibles. Dans le labyrinthe de la complexité, je vois courir l’homme-sanglier.
C’est un être étonnant. Habillé comme un jeune entrepreneur – chemise impeccable
repassée – il a néanmoins la gueule un peu rude de ce cousin forestier du
porc. Par parenthèses, la parenté du sanglier et du cochon est mieux indiquée
par la langue allemande que la française. Tel n’est pas mon propos. On se souvient
peut-être que la principale caractéristique du sanglier est de foncer droit devant
lui, selon une ligne inflexible qui ne saurait souffrir la contradiction. Dans
un labyrinthe, de surcroît circulaire, la méthode ne semble guère adaptée ;
et comme un homme pris de boisson, un poète à fleur de peau, il se heurte à
tous les murs… C’est un spectacle fort désagréable à observer. Mais l’expérience
ne l’instruit pas ! Le groin en sang, à peine relevé, il se remet à foncer,
à foncer droit devant lui, selon une ligne inflexible qui ne saurait souffrir
la contradiction. Hélas ! Jamais il ne sortira du labyrinthe de la complexité…
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Portrait présumé d'Isidore Ducasse |
Frédéric Perrot
vendredi 3 avril 2020
Année maudite (poème d'Henri Michaux)
Année
année
maudite
année
collée
année-nausée
année
qui en est quatre
qui
en est cinq
année
qui sera bientôt toute notre vie
Buveuse
taraudeuse
ornée
de bernés
Année,
la narine au vent
mais
rien ne vient
Souffrance
sur
ta coque vide !
Anxiété
sur
ta coque vide !
Famine
sur
ta coque vide !
Année,
année, année
que
nous ânonnons sans fin
compagnons
de la cendre
des
débris calcinés
poursuivis
de plis
poursuivis
de plaies
A
quand ton vin ?
Singeuse
de grandeur
mal
balancée
balancée
de ci de là
d’ici
à là…
Et
s’échappera-ton jamais de toi ?
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Le poème appartient au recueil Épreuves,
exorcismes (1940-1944). Comme l’inepte rhétorique guerrière a envahi
tous les discours, il ne m’a pas paru inutile de rappeler que la violence psychologique
et concrète d’une guerre, c’est autre chose.
Phrases finales de la Préface d’Henri Michaux
:
« Pour qui l’a compris, les poèmes
du début de ce livre ne sont point précisément faits en haine de ceci, ou de
cela, mais pour se délivrer d’emprises.
La plupart des textes qui suivent sont en
quelque sorte des exorcismes par ruse. Leur raison d’être :
tenir en échec les puissances environnantes du monde hostile. »
jeudi 2 avril 2020
Qu'il vive ! (poème de René Char)
Ce
pays n’est qu’un vœu de l’esprit, un contre-sépulcre.
Dans mon pays, les tendres preuves du
printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains.
La vérité attend l’aurore à côté d’une
bougie. Le verre de fenêtre est négligé. Qu’importe à l’attentif.
Dans mon pays, on ne questionne pas un
homme ému.
Il n’y a pas d’ombre maligne sur la barque
chavirée.
Bonjour à peine, est inconnu dans mon pays.
On n’emprunte que ce qui peut se rendre
augmenté.
Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles
sur les arbres de mon pays. Les branches sont libres de n’avoir pas de fruits.
On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.
Dans mon pays, on remercie.
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Le poème est extrait du recueil Les Matinaux,
édité en 1950.
René Char se faisait une haute idée de ce
qu’est un poète. Il pouvait...
« A chaque effondrement des preuves
le poète répond par une salve d’avenir. »
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René Char |
mercredi 1 avril 2020
L'exceptionnel est la juste mesure du temps
Comme
disait Paul Valéry,
Je
ne suis pas une tireuse de cartes,
Et
de l’avenir je ne sais rien…
Mais
on peut l’imaginer,
Ce
n’est pas rassurant.
Ils
nous diront sans doute ensuite :
L’exceptionnel
est la juste mesure du temps.
Ce
qui a valu une fois vaudra dorénavant.
Habituez-vous
à l’état de crise permanent…
Bien
sûr ils ne le diront pas aussi clairement,
Cela
sera juste inscrit dans les lois…
Frédéric Perrot
mardi 31 mars 2020
Lettre d'Annie Ernaux au Président de la République
Cergy, le 30 mars 2020
Monsieur
le Président,
« Je vous fais une lettre/ Que vous
lirez peut-être/ Si vous avez le temps ». À vous qui êtes féru de
littérature, cette entrée en matière évoque sans doute quelque chose. C’est le
début de la chanson de Boris Vian Le déserteur, écrite en 1954, entre la
guerre d’Indochine et celle d’Algérie. Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez,
nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre
semblable, il n’a ni pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières et les
différences sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un
autre. Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits
d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre de
médecins, de scientifiques, de soignants. Or, depuis que vous dirigez la
France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et ce
qu’on pouvait lire sur la banderole d’une manif en novembre dernier – l’état
compte ses sous, on comptera les morts – résonne tragiquement aujourd’hui. Mais
vous avez préféré écouter ceux qui prônent le désengagement de l’État,
préconisant l’optimisation des ressources, la régulation des flux, tout ce
jargon technocratique dépourvu de chair qui noie le poisson de la réalité. Mais
regardez, ce sont les services publics qui, en ce moment, assurent
majoritairement le fonctionnement du pays : les hôpitaux,
l’Éducation nationale et ses milliers de professeurs, d’instituteurs si mal
payés, EDF, la Poste, le métro et la SNCF. Et ceux dont, naguère, vous avez dit
qu’ils n’étaient rien sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les
poubelles, de taper les produits aux caisses, de livrer des pizzas, de garantir
cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle, la vie matérielle.
Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après un
traumatisme. Nous n’en sommes pas là. Prenez garde, Monsieur le Président, aux
effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est
un temps propice aux remises en cause. Un temps pour désirer un Nouveau Monde.
Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent déjà sans
pudeur l’antienne du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par
semaine. Nous sommes nombreux à ne plus vouloir d’un monde dont l’épidémie
révèle les inégalités criantes, nombreux à vouloir au contraire un monde où
les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer,
se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités actuelles
montrent, justement, la possibilité. Sachez, Monsieur le Président, que nous ne
laisserons plus nous voler notre vie, nous n’avons qu’elle, et
« rien ne vaut la vie » – chanson, encore, d’Alain Souchon. Ni
bâillonner durablement nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes,
liberté qui permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite
de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale.
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