dimanche 5 janvier 2020

La froideur énigmatique


                                                                          Pour Elisée Bec,


Le sommeil de l’imagination
Est un sommeil hébété

Ne laisse pas ton regard accroché
Aux branches des choses vues

Si d’aventure tu es confronté
À la froideur énigmatique

Songe à l’enfant venu avec le vent
Et reconduit à la frontière


           
Le poème appartient au recueil Les fontaines jaillissantes (janvier 2020). Frédéric Perrot.

samedi 4 janvier 2020

La Postérité du soleil





Extrait du texte de présentation de l’éditeur

La Postérité du soleil est née de l'amitié qui lia après la Libération Albert Camus et René Char. La correspondance des deux écrivains fait plusieurs fois allusion à ce projet de « livre sur le Vaucluse » qui serait la trace fidèle de leur fraternité. Ils en escomptaient une « joie durable ». Mais le livre ne put paraître du vivant de Camus, bien que le manuscrit en fût prêt au début des années 1950, après que Char y eut apporté son « luttant et respirant » poème d'ouverture. Les fragments poétiques de Camus y accompagnaient et transfiguraient les photographies d'Henriette Grindat (1923-1986), artiste suisse venue rencontrer Char à L'Isle-sur-la-Sorgue, dans le but de donner un visage à cet arrière-pays « qui est à l'image du nôtre, invisible à autrui » (Char). La mort tragique de Camus vint redonner vie à ce projet ; et le livre parut dans une version de luxe en 1965. 

       Cette réédition en grand format permet de découvrir un texte oublié d'Albert Camus, relevant d'une écriture poétique et fragmentaire peu courante sous sa plume.

Albert Camus, Discours de Suède

jeudi 2 janvier 2020

Ménagerie

Goya, Kunsthalle Hambourg


Sans être jamais allé nulle part, sans avoir jamais participé au moindre safari, méprisant de fait les chasseurs et les vieux loups de mer, j’ai pourtant toute une ménagerie que j’ai dû contre mon gré installer dans un espace fort réduit : celui de ma chambre à coucher. A croire qu’un mauvais plaisant a pris à mes dépens le pari de faire entrer des troupeaux entiers dans un mouchoir de poche… C’est que chaque jour, malgré mes vives protestations, on m’amène de nouvelles espèces : deux par deux, pour qu’elles se reproduisent, dit-on. Mais moi, je ne tiens pas particulièrement à ce qu’elles se reproduisent : je n’ai plus de place, je commence à me sentir à l’étroit. D’ailleurs même les voisins protestent : ils se plaignent des odeurs et des camions de livraisons qui encombrent la rue. C’est un quartier respectable, ce n’est pas un cirque, est-il écrit dans la pétition qu’ils font circuler et qui a déjà recueilli un nombre respectable de signatures : dès lors qu’il s’agit de désigner un bouc émissaire, d’écarter une brebis galeuse, prompts sont les hommes… Et puis ceci dit, toutes ces espèces ensemble, dont j’ignore les noms, si elles sont dangereuses, piquantes ou venimeuses, que je n’ai pas d’envie d’amadouer et que je dois au contraire combattre bec et ongles, font un de ces vacarmes : je n’en dors plus de la nuit. Or, je le demande sincèrement : à quoi peut bien servir une chambre à coucher, si on ne peut y dormir ? Je l’affirme donc sans sourciller : c’est moi que l’on chasse à présent. Et sans avoir rien à me reprocher, je vais devoir changer de logement.


Le texte appartient au recueil inédit La perte d’un visage (été 2005). Frédéric Perrot.

mardi 31 décembre 2019

Mémoire du soleil (dessin Vittorio Papermade)




Le cœur perd lentement mémoire du soleil.
L’herbe jaunit.
Le vent fait voler une neige tôt venue.
Juste un peu.

Dans les canaux étroits déjà l’eau se fige,
Ne coule plus.
Il ne se passe jamais rien ici,
Oh ! jamais.

Le saule a déployé sur le ciel vide
Sa dentelle en éventail.
Peut-être il valait mieux que je ne sois jamais
Votre femme.

Le cœur perd lentement mémoire du soleil.
Qu’est-ce qu’il y a ? Du noir ?
Peut-être ! Une nuit va suffire pour que vienne
L’hiver.


                                                                            Anna Akhmatova