vendredi 31 octobre 2025
mardi 28 octobre 2025
Nouveaux Délits, numéro 82, octobre 2025 (Cathy Garcia Canalès, Laurent Bouisset)
Huit
ans après une première collaboration, Cathy Garcia Canalès et Laurent Bouisset nous invitent
une fois encore à nous décentrer avec ce numéro 82 de la revue Nouveaux Délits,
qui est bilingue et entièrement consacré à la poésie d’Amérique du nord et d’Amérique
centrale. Y sont présentés des poèmes de cinq poètes, César Anguiano (Mexique),
Isabel de los Ángeles Ruano (Guatemala), Julio C. Palencia (Guatemala), Jorge
Vargas (Mexique) et Vania Vargas (Guatemala), tous traduits par Laurent
Bouisset.
Pour lire le texte de présentation de Laurent Bouisset :
Un poème extrait de ce numéro :
« El fantasma del pasado » de Vania Vargas
Le
fantôme du passé
L’une de toutes les
femmes que j’ai été
m’attendait à la maison
il
y a quelques nuits
telle une parente
lointaine et indésirable
qui semblerait se
reconnaître un certain droit
sur les espaces qu’elle
avait habités
Avec une familiarité
menaçante
elle s’est installée en
silence face à moi
et après avoir tout
observé
elle a commencé à
déballer
de ses mains sales
les peurs / les doutes / le
chaos
tout ce que nous avions
laissé enfoui
la dernière nuit où je l’avais
vue
Je n’ai pas voulu lui
demander comment elle allait
je la connais trop bien
Je suis restée sans rien
dire / je l’ai regardée avec angoisse
attendant qu’elle me dise
ce qui l’avait ramenée
ici / où elle était passée
ce qu’était devenu ce que
nous avions compris
quand elle avait décidé de partir
Et j’ai passé plusieurs
jours à chercher
les mots pour lui expliquer
qu’elle ne revient jamais,
la peau que nous abandonnons
elle se désagrège dans le
vent
à moins que ce ne soit pas de la peau
que l’on ne redevient
jamais ce que l’on était
comme si l’on se réveillait
en sursaut
à moins qu’elle ne soit
ce que je nie
tout en continuant à l’être
celle qui me guette à
chaque mouvement du soleil
Alors, un soir, en
rentrant chez moi
perturbée par sa présence
Je l’ai obligée à se
lever / Je lui ai servi de l’eau
J’ai allumé une bougie
pour elle / Je me suis assise pour lui écrire
Je lui ai demandé des
nouvelles des autres / si elle les avait croisées en chemin
Si elle pensait revenir,
celle qui était partie parce qu’un jour
alors qu’elle se croyait en sécurité
elle avait découvert la
tendresse agonisant entre ses bras
Et quand j’ai levé les
yeux, elle n’était plus là
seule
dansait une colonne de fumée
traçant un instant un
chemin
qui se perdait de nouveau
dans le rien
Vania Vargas (traduction Laurent
Bouisset)
samedi 25 octobre 2025
Different Class de Pulp a trente ans
Le
30 octobre 1995, sortait le cinquième album de Pulp, Different Class. Il
avait été précédé en mai par un premier single, Common People, devenu
depuis légendaire et ce fut enfin l’heure du triomphe pour la bande à Jarvis
Cocker, dont les premiers faits d’armes remontent au début des années 80. L’album
connut un immense succès et devint même en Angleterre un véritable phénomène de
société, tant il semblait presque miraculeusement capter l’air du temps,
résumer les espoirs et les désillusions de toute une génération : ces « gens
ordinaires », en particulier les jeunes, qui ne connaissaient comme horizon que les
supermarchés, les programmes merdiques de la télévision et les bureaux des
agences pour l’emploi.
Musicalement,
Different Class se situe dans la droite ligne de l’excellent His 'n'
Hers (1994) et de l’extraordinaire compilation Intro (1993). C’est
de la pop-rock énergique, voire hystérique, théâtrale, mâtinée de sonorités électroniques.
Mais ce qui distingue Pulp de ses « rivaux » (Blur, Oasis), ce sont
les textes de Jarvis Cocker, qui est, de loin, le meilleur parolier anglais des
années 90.
Sur
Different Class, les textes de Jarvis Cocker composent un petit univers
déjanté, où il est beaucoup question de sexe, de frustration et de désespérance.
On y passe de la chronique sociale acerbe (Common People) à des histoires
d’amour plus souvent fantasmées que vécues (Something changed, Disco
2000, dont Nick Cave proposera plus tard une version lente et chagrine). Le
ton est volontiers ironique, voire cruel (Live Bed Show, Underwear, Bar
Italia). La paranoïa et la mégalomanie ne sont jamais loin et la rageuse « chanson
de vampire », I Spy, nous rappelle que Jarvis Cocker n’a rien d’un
gendre idéal. Brian De Palma ne s’y trompera pas, qui inclura I Spy à la
B.O. de son Mission impossible. Cocker n’oublie pas non plus dans sa
description de la vie des « gens ordinaires » d’évoquer les sorties
en festival (Sorted for E’s & Wizz)
et les nuits en club (Bar Italia), où l’on se gave de pilules et
dont on revient en lambeaux.
Cette
réédition de Different Class propose également sur un second disque le concert donné par
Pulp au festival de Glastonbury en juin 1995.
Frédéric
Perrot
Pour
écouter Underwear :
https://youtu.be/-IArKcMSwxM?si=huYCxuSuJU1MYO3D
Pour
écouter I Spy :
jeudi 23 octobre 2025
Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l'âme (extraits)
« Vivre
sans le vouloir est chose épouvantable, mais ce serait bien pis encore d’être
éternel sans l’avoir demandé. » (B,338)
« Cela
est aussi naturel à l’homme que la pensée ou que lancer des boules de
neige. » (C,157)
« Ce
n’est pas la force de son esprit mais celle du vent qui a élevé cet
homme. » (C,358)
« Une
tombe est toujours la plus sûre forteresse contre les assauts du destin. »
(D,143)
« Il
a écrit huit livres. Il eût certainement mieux fait de planter huit arbres ou bien d’élever huit enfants. » (D,175)
« Si
un livre et une tête se heurtent et que cela sonne creux, le son provient-il
toujours du livre ? » (D,399)
« Je
crois qu’il ne sera jamais possible de démontrer que nous sommes l’œuvre d’un
Être Supérieur, plutôt que celle d’un être fort imparfait qui nous créa comme
passe-temps. » (D,412)
« C’est
ainsi que se moquent de nous nos cousins l’ange et le singe. » (D,436)
« L’automne
raconte à la terre les feuilles qu’elle a prêtées à l’été. » (D,559)
« Notre
vie est comme une journée d’hiver ; nous naissons entre minuit et une
heure du matin ; le jour ne point pas avant huit heures, et il n’est pas
encore quatre heures de l’après-midi qu’il fait nuit à nouveau ; à minuit
vient la mort. » (E,212)
« Un
livre est comme un miroir ; si un singe s’y mire, d’évidence il n’y verra
point un apôtre. Nous n’avons nulle parole pour parler de sagesse à
l’abruti. Il est déjà sage celui qui comprend le sage. » (E, 215)
« Dans
une maison de fous, il doit y en avoir un qui parle le shakespearien. »
(E,325)
« Nous
avons érigé toutes nos meilleures idées sur une sorte de fièvre issue du tabac
et du café. » (E,438)
« Il
se coupait lui-même la parole. » (E,519)
« Lire,
c’est emprunter ; en tirer profit, c’est rembourser sa dette. » (F,7)
« Je
suis convaincu que l’on ne fait pas uniquement que s’aimer à travers autrui,
mais que l’on se hait aussi à travers eux. » (F, 450)
« L’inventeur
des thèses et dont le nom est oublié du genre humain. » (F,1007)
« Là
où la modération est une erreur, l’indifférence est un crime. » (G,62)
« L’Américain
qui découvrit le premier Christophe Colomb fit une méchante découverte. »
(G,183)
« Il
voulait se noyer ; seulement son chien, qui courait derrière lui, le
rapportait toujours. » (H,106)
« L’âne
me semble un cheval traduit en hollandais. » (H,166)
« Comment
donc les hommes sont-ils parvenus au concept de liberté ? Ce fut
une grande idée. » (J,276)
« La
mort d’un homme de talent m’attriste toujours, puisque le monde en a plus
besoin que le ciel. » (J,539)
« En
ce monde, on vit mieux en disant la bonne aventure qu’en disant la
vérité. » (J,787)
« C’est
dans la capacité de tirer profit des avatars de l’existence, et de ses leçons,
que réside une grande part du génie. » (K,120)
Georg
Christoph Lichtenberg
Le
miroir de l’âme
Traduit
de l’allemand et préfacé par Charles Le Blanc
Sur
Georg Christoph Lichtenberg
Né
en 1742, Georg Christoph Lichtenberg passa, à partir de l’âge de 21 ans, toute
sa vie à l’université de Göttingen, d’abord comme étudiant puis comme
professeur de sciences mathématiques et physiques, chargé plus spécialement de
la physique expérimentale. Il fit deux voyages en Angleterre qui
l’influencèrent durablement et mourut en 1799.
Esprit
éclairé, novateur dans le domaine de l’électricité, Lichtenberg ne doit pas sa
renommée posthume aux « figures » qui, en physique, portent son nom,
mais à ses carnets intimes, ses cahiers numérotés (A, B, C..) dans lesquels il
jetait, pêle-mêle, ses idées et ses observations sans intention de les publier
jamais : « Éveiller la méfiance envers les oracles : tel est mon
but ».
Lichtenberg,
admiré de Goethe, de Kant, de Kierkegaard, de Nietzsche, de Tolstoï, d’André
Breton, est un philosophe et un écrivain, toujours à découvrir.
![]() |
| Lichtenberg |
Source
image : Wikipédia
mercredi 22 octobre 2025
Philippe Gonin, The Cure, Pornography (pour Lionel)
Quatrième de couverture
Dernier
volet de la trilogie glacée, Pornography apparaît comme l’ultime étape d’un
processus d’exploration des possibles. L’album est une sorte de « monument
à la limite du pays fertile », brûlant les toutes dernières cartouches de
Robert Smith, qui n’aura d’autre solution après cela que la fuite. Non une
fuite en avant conduisant comme trop souvent à la mort, mais une échappée vers
ailleurs.
Ce
livre explore les processus de création à l’œuvre dans ce disque largement
reconnu comme un point d’achèvement dans la carrière de The Cure, et comme une
pierre angulaire dans l’histoire de la musique pop-rock, un disque marqué par
une tension permanente et dont on ressort épuisé…
Pour
écouter A Strange Day :
dimanche 19 octobre 2025
Épilogue (pour René)
Comment résister aux
mauvaises vibrations ?
La vie ne ressemble pas à
une chanson des Beach Boys,
Aussi belle et déchirante
soit-elle.
La vie est grossière,
brutale et stupide.
Comment résister aux
mauvaises vibrations ?
La confusion règne dans
les discours et les esprits.
Les soldats les plus
féroces travaillent au nom de la paix.
Les pires assassins se
réclament de la justice.
La machine à décérébrer
fonctionne à plein régime.
Les imbéciles sont en
roue libre.
Comment résister aux
mauvaises vibrations ?
-----------------------------
Sans autres expédients et
nul horizon,
La vie ne ressemble pas à
une chanson,
Aussi déchirante
soit-elle.
Qui peut supporter tant
de contradictions ?
Sauter du train en marche
Serait-il la seule
solution ?
Non, retourne à ton
indécision…
Et il te restera encore à
chercher
Un coin où te cacher,
Un trou où t’enterrer
En attendant des jours
meilleurs…
Novembre 2024 –
Octobre 2025
Good Vibrations est sans doute la chanson la plus
extraordinaire des Beach Boys. Brian Wilson, un des derniers génies de la
musique pop, est mort le 11 juin 2025. Frédéric Perrot
Pour écouter Good Vibrations :
mercredi 15 octobre 2025
jeudi 9 octobre 2025
De chrysanthèmes en chrysanthèmes... Jacques Brel est mort un 9 octobre
Pour
écouter « J’arrive » :
https://youtu.be/vBHfoGrJLqI?si=tICoGZsKm0uGlHku
lundi 6 octobre 2025
samedi 4 octobre 2025
vendredi 3 octobre 2025
jeudi 2 octobre 2025
Arthur Rimbaud, La Maline
Dans la salle à manger
brune, que parfumait
Une odeur de vernis et de
fruits, à mon aise
Je ramassais un plat de
je ne sais quel met
Belge, et je m’épatais
dans mon immense chaise.
En mangeant, j’écoutais l’horloge,
– heureux et coi.
La cuisine s’ouvrit avec
une bouffée
– Et la servante vint, je
ne sais pas pourquoi,
Fichu moitié défait, malinement
coiffée
Et, tout en promenant son
petit doigt tremblant
Sur sa joue, un velours
de pêche rose et blanc,
En faisant, de sa lèvre
enfantine, une moue,
Elle arrangeait les
plats, près de moi, pour m’aiser ;
– Puis, comme ça, – bien
sûr pour avoir un baiser, –
Tout bas : « Sens donc : j’ai
pris une froid sur la joue... »
Charleroi, octobre 1870
samedi 27 septembre 2025
Hugues Jallon, Le temps des salauds
Présentation
« Le
fascisme, ça commence avec les fous, ça se réalise grâce aux salauds et ça
continue à cause des cons. » Cette phrase dit la vérité d’un temps, celui où le
fascisme commence à exister vraiment. C’est le temps où les masques tombent, le
temps des ralliements et des dîners en ville, où l’extrême droite devient
fréquentable parce qu’on commence à la fréquenter. C’est aussi le temps des accommodements,
des ambiguïtés et des changements de pieds. C’est surtout le temps où des
hommes et des femmes responsables, dirigeants politiques, intellectuels,
patrons, éditorialistes s’emploient à rendre la promesse fasciste raisonnable.
Ce temps-là, c’est le temps des salauds.
Hugues Jallon, Le temps
des salauds
Éditions Divergences,
septembre 2025
samedi 20 septembre 2025
Un nouvel ami
pour Mathieu Jung,
Nous
marchions sans parler, comme si l’heure tardive nous incitait au silence. Le
ciel semblait avoir été badigeonné de noir par une main négligente et nous
n’aurions pu nous indiquer du doigt les étoiles et les constellations. Nous n’y
songions pas : nous étions l’un et l’autre absorbés dans nos pensées, et
je cherchais pour ma part une manière de renouer le fil d’une conversation qui
une demi-heure encore auparavant, à cette terrasse de café à proximité de la
gare, avait été chaleureuse et animée. En très peu de temps, nous avions
sympathisé, il était drôle et vif, et à un moment, comme nos verres étaient
vides, il m’avait proposé de faire un tour dans cette petite ville, où nous
retenait un retard de train. Mais à présent, où nos pas nous
menaient-ils ? Et pourquoi mon nouvel ami ne disait-il plus un
mot ? Le plus agaçant, c’était son allure et le fait qu’insensiblement il
s’était mis à marcher plus vite, de sorte que j’avais la désagréable sensation
de le suivre, comme entraîné dans son sillage. Cela avait même un côté tout à
fait ridicule. Il était le véhicule et j’étais la remorque, une remorque qu’il
ne semblait pas inquiet de perdre, puisqu’au détour d’une rue, il avait encore
accéléré le pas pendant une bonne trentaine de mètres, avant de s’engouffrer
sous un porche. J’avais l’impression qu’il avait eu un rapide regard dans ma
direction par-dessus son épaule comme pour se confirmer ma présence, mais je
n’aurais pu en jurer et j’arrivais presque essoufflé à la hauteur du porche. Je
n’avais pas couru pourtant… Où était-il ? S’il se cachait quelque part
dans cette masse d’obscurité compacte afin de soudain m’effrayer comme aiment à
le faire les enfants, si c’était un jeu, c’était un jeu sinistre, auquel je
n’avais vraiment pas envie de jouer et pour me rassurer, je me mis à parler à
voix haute. Je ne sais trop ce que je disais, tout en avançant à pas prudents,
je cherchais à dédramatiser la situation je crois, en lui laissant entendre que
j’avais bien compris son petit manège. Je n’en menais pas large malgré tout et
je l’appelais à plusieurs reprises, d’une voix qui me parut péniblement
haletante. J’avais par ailleurs le sentiment d’avoir oublié quelque chose,
un point essentiel, autour duquel ma pensée tournait sans pouvoir s’en approcher.
Pourquoi étais-je ici ? Non pas précisément ici, mais dans cette
ville ? Où l’avais-je rencontré, et pour quelle raison ? Mon
train ! J’allais rater mon train ! Ce fut à ce moment précis, je
crois, que surgissant de nulle part, il se jeta sur moi avec un cri de bête
fauve et me précipita de tout son poids sur le sol. À moitié assommé, je
cherchais à le repousser, à me débattre, mais de ses deux poings
alternativement, il me roua le visage de coups, avant de s’assoir
tranquillement sur moi comme un roi sur son trône. Il m’avait déjà arraché ma
chemise, avec une facilité déconcertante. Il hurlait, éructait, me mordait au
sang, bavait, enfonçait sa langue énorme dans ma bouche, me léchait, tirait soudain
sur mes cheveux courts comme s’il avait voulu les arracher de mon crâne par
touffes entières, et presque évanoui, j’eus l’idée étrange et furtive que ce n’était
plus des mains qui torturaient et déchiraient mon corps, mais des griffes,
comme aucun être humain n’en a en fait. Cette sordide étreinte ne finirait-elle
jamais et pourquoi cela m’arrivait-il à moi ? Etranges questions… Je
dus perdre tout à fait connaissance. Quand je rouvris les yeux, je savais ce
que j’avais perdu, je savais ce qu’il m’avait volé, ce qu’il avait saccagé pour
toujours. – Pantelant, j’étais étendu nu sur le pavé humide, sous un porche,
dans une petite ville dont je ne connaissais même pas le nom.
29
août 2025 – Frédéric Perrot














