dimanche 12 janvier 2020

Nietzsche, Le gai savoir (troisième livre, extraits)




130

Une décision dangereuse. – La décision chrétienne de trouver le monde laid et mauvais a rendu le monde laid et mauvais.

132

Contre le christianisme. – Désormais, c’est notre goût qui condamne le christianisme, non plus nos raisons.

142

Encens. – Bouddha dit : « N’adule pas ton bienfaiteur ! »  Qu’on répète cette sentence dans une église chrétienne :  – elle purifie instantanément l’air de tout ce qu’il contient de chrétien.

147

Question et réponse. – Qu’est-ce que les peuplades sauvages commencent aujourd’hui par emprunter aux Européens ? L’eau de vie et le christianisme, les narcotica européens. – Et qu’est-ce qui les fait périr le plus vite ? – Les narcotica européens.

164

Les chercheurs de repos. – Je reconnais les esprits qui cherchent le repos aux nombreux objets obscurs qu’ils disposent autour d’eux : qui veut dormir fait l’obscurité dans sa chambre ou rampe au fond d'une caverne. – Avertissement pour ceux qui ne savent pas ce qu’ils cherchent le plus, et aimeraient le savoir !

173

Être profond et paraître profond.  – Qui se sait profond s’efforce d’être clair ; qui aimerait passer pour profond aux yeux de la foule s’efforce d’être obscur. Car la foule tient pour profond tout ce dont elle ne peut voir le fond : elle est si peureuse et si réticente à entrer dans l’eau.

179

Pensées. – Les pensées sont les ombres de nos sensations – toujours plus sombres, plus vides, plus simples que celles-ci.

182

Dans la solitude. – Quand on vit seul, on ne parle pas trop fort, on n’écrit pas trop fort non plus : car on craint la résonance vide – la critique de la nymphe Echo. – Et toutes les voix sonnent différemment dans la solitude !

189

Le penseur. – C’est un penseur : cela signifie qu’il est expert dans l’art de considérer les choses comme plus simples qu’elles ne sont.

218

Mon antipathie. – Je n’aime pas les hommes qui pour faire de l’effet, doivent exploser comme des bombes, et à proximité desquels on est toujours exposé au danger de perdre brusquement l’ouïe – voire plus encore.

231

Les « fondamentaux ». – Les traînards de la connaissance pensent que la lenteur fait partie de la connaissance.

232

Rêver. – On ne rêve pas du tout ou alors de manière intéressante. – Il faut apprendre à être éveillé de la même manière : pas du tout, ou alors de manière intéressante.

239

Le triste. – Il suffit d’un unique homme triste pour répandre une morosité permanente et un ciel chargé sur une famille entière ; et il faut un miracle pour que cet unique individu n’existe pas ! – Le bonheur est loin d’être une maladie aussi contagieuse, – d’où cela vient-il ?

241

Œuvre et artiste. – Cet artiste est ambitieux et rien de plus : son œuvre n’est en fin de compte qu’un verre grossissant qu’il offre à tout homme regardant dans sa direction.

248

Livres. – Qu’importe un livre qui ne sait même pas nous transporter au-delà de tous les livres ?

264

Ce que nous faisons. – Ce que nous faisons n’est jamais compris, mais toujours simplement loué et blâmé.

266

Là où la cruauté est nécessaire. – Qui a de la grandeur est cruel envers ses vertus et ses réflexions de second ordre.

270

Que dit ta conscience ? – « Tu dois devenir celui que tu es. »

273

Qui qualifies-tu de mauvais ? – Celui qui veut toujours faire honte.

274

Qu’y a-t-il pour toi de plus humain ? – Épargner la honte à quelqu’un.

275

Quel est le sceau de l’acquisition de la liberté ? – Ne plus avoir honte de soi-même.




Nietzsche, Le gai savoir 
Présentation, traduction inédite, notes, bibliographie et index par Patrick Wotling.
Flammarion, 1997

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