Goya, Kunsthalle Hambourg |
Sans
être jamais allé nulle part, sans avoir jamais participé au moindre safari,
méprisant de fait les chasseurs et les vieux loups de mer, j’ai pourtant toute
une ménagerie que j’ai dû contre mon gré installer dans un espace fort
réduit : celui de ma chambre à coucher. A croire qu’un mauvais plaisant a
pris à mes dépens le pari de faire entrer des troupeaux entiers dans un mouchoir de poche…
C’est que chaque jour, malgré mes vives protestations, on m’amène de nouvelles
espèces : deux par deux, pour qu’elles se reproduisent, dit-on. Mais moi,
je ne tiens pas particulièrement à ce qu’elles se reproduisent : je n’ai
plus de place, je commence à me sentir à l’étroit. D’ailleurs même les voisins
protestent : ils se plaignent des odeurs et des camions de livraisons qui
encombrent la rue. C’est un quartier respectable,
ce n’est pas un cirque, est-il écrit dans la pétition qu’ils font circuler et
qui a déjà recueilli un nombre respectable
de signatures : dès lors qu’il s’agit de désigner un bouc émissaire,
d’écarter une brebis galeuse, prompts sont les hommes… Et puis ceci dit, toutes
ces espèces ensemble, dont j’ignore les noms, si elles sont dangereuses,
piquantes ou venimeuses, que je n’ai pas d’envie d’amadouer et que je dois au
contraire combattre bec et ongles, font un de ces vacarmes : je n’en dors
plus de la nuit. Or, je le demande sincèrement : à quoi peut bien servir
une chambre à coucher, si on ne peut y dormir ? Je l’affirme donc sans
sourciller : c’est moi que l’on chasse à présent. Et sans avoir rien à me
reprocher, je vais devoir changer de logement.
Le
texte appartient au recueil inédit La perte d’un visage (été 2005). Frédéric
Perrot.
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