Mon
corps est disloqué, je ne retrouve plus d’ensemble. Dans le miroir bien sûr, il
y a mon reflet, grimaçant, bluffant. Dedans c’est un carnage. Comme un
appartement mis à sac, un chien dans un jeu de quilles. Ça sent la pisse et les
sacs poubelles éventrés. Les mégots, le renfermé, le lourd. Sauf que c’est
comme s’il n’y avait pas de fenêtre, rien pour faire un courant d’air. Je voudrais
d’ailleurs partir en courant, mais on ne fuit pas son propre corps, on le supporte.
Il y en a qui donnent dans le tableau Excel pour l’oublier, moi je n’ai jamais
su faire. Le tableau m’angoisse, le chiffre me fige. Il me fait la peau bien avant d’attirer
une quelconque concentration de ma part.
C’est
arrivé hier soir, bien avant l’aube. Au milieu des autres, à la faveur de la nuit.
Je n’ai rien vu venir, je dansais, je sentais. Les voix me galvanisaient, mes
articulations m’entraînaient. Je n’attendais rien, je ne voulais rien posséder,
je quittais juste le sol entre deux appuis et cela me suffisait. Puis une main
est arrivée et m’a tirée par la tempe. En un geste mon corps s’est laissé emmener
et je me suis collée à ce nouveau rythme. Des sensations le long de l’échine,
une onde que je n’avais pas vu venir.
Je
me suis retenue, un peu, le temps de le dire, le temps d’une cigarette. Puis il
y a eu ses mains sur mon bassin, sa voix, son sourire, son front contre le mien.
Incongru, présent. J’ai dansé encore. J’ai laissé les sensations me traverser,
j’ai laissé la joie m’envahir, sans raison.
J’ai
peut-être pris ce qu’il y avait à prendre.
C’est
au petit matin, à l’heure du sommeil qui s’est fait filament de non-sens que je
me suis réveillée : j’étais pillée.
Hélène
Bischoffe est morte en avril 2019, elle était une amie. La phrase titre est empruntée
à une chanson de Dominique A, Ce geste absent.
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