Bernard-Marie Koltès |
« Non,
vous ne pourrez rien atteindre qui ne le soit déjà, parce qu’un homme meurt d’abord,
puis cherche sa mort et la rencontre finalement, par hasard, sur le trajet
hasardeux d’une lumière à une autre lumière, et il dit : donc, ce n’était
que cela. »
Dans
la solitude des champs de coton
Mai 2012 – Le choix des armes – La fin de
la pièce de Koltès (Dans la solitude des champs de coton). Quand
parvenus au terme d’un long dialogue impossible, les deux protagonistes n’ont
plus d’autre alternative que la violence physique et se demandent avec quelles
armes ils vont s’affronter. C’est aussi un peu du western cette pièce.
Juillet 2012 – « Je ne veux pas
hériter. Je veux mourir en disant de belles phrases. » (Koltès,
Le retour au désert)
8 janvier 2013 – Pièce de Koltès – Sallinger… Beauté et puissance de la
langue. Création d’un univers à la fois personnel (l’adolescence, la famille)
et universel (la guerre). Une nouvelle leçon de modestie pour toi qui te
prétends « écrivain » …
« Peut-être, mais que voulez-vous ?
Moi, je n’ai appris à parler qu’à la première personne ; et
comment désapprendre cela ? » (Sallinger)
23 mars 2013 – Peur de la violence –
Vision fugace au réveil. Je suis ceinturé et un élève me gaze, m’asperge le
visage avec une bombe lacrymogène… La fameuse « boule au ventre » que
je prétends ne plus avoir. Cherchant à bombe l’adjectif qui me manquait, lacrymogène, je tombe sur : « …
ces petites bombes qu’elles portent dans leur sac à main, dont elles
projettent le liquide dans les yeux des brutes pour les faire pleurer »
(Koltès).
Octobre 2013 – Un être soudain surgi
des ténèbres – Pour un deal, comme
dans la pièce de Koltès. Je n’ai pas été un client très embarrassé… J’ai
pris sa camelote, ne lui ai payé qu’une partie de ce qu’il exigeait, avant de
prendre la fuite et de le laisser sur place… Il n’allait pas me poursuivre de
toute façon… Comme j’étais passablement ivre, la scène a pris dans mon esprit
tous les contours d’un rêve ou d’un rapide cauchemar…
13 janvier 2014 – Relu une biographie de
Koltès. Toujours le même sentiment après de telles lectures. « Moi, je
n’ai pas de vie… ».
21 janvier 2014 – Trouver des titres,
comme je l’ai déjà fait, peut être une méthode. Les beaux titres de Koltès,
qu’il cherchait longtemps, à en croire sa biographe. L’un des plus beaux – Dans la solitude des champs de coton –
semble emprunté à un roman de Carson McCullers.
« Il faudrait se haïr vraiment, mais
non pas comme un homme normal hait une femme, en vivant à côté, dans les
formes, non pas comme un pauvre type hait un homme du monde, mais comme la peau
hait le vitriol. » (Bernard-Marie Koltès, Quai ouest)
9 juin 2014 – « Les beaux livres
sont écrits dans une sorte de langue étrangère. ». C’est à cette phrase de
Proust régulièrement citée par Deleuze que je pensais hier en lisant Koltès. Cela
est particulièrement vrai dans Quai ouest,
dans les extraordinaires dialogues entre « la petite »
(Claire) et Fak qui évoquent métaphoriquement la perte de la virginité. Beauté
d’une langue qui par ailleurs pourrait sembler « incorrecte ».
Même si son univers est désespéré, c’est
très drôle Koltès et je
comprends qu’il ne voulait pas qu’on joue ses pièces comme des tragédies, mais
comme des comédies…
Ne se sentir ni aimé, ni désiré ;
« ne pas recevoir ce que l’autre n’a jamais eu » et « la
peur de cette souffrance » (Christophe Bident, Bernard-Marie Koltès, Généalogies)
15 juin 2014 – « Être auteur, cela
consiste à ne voir personne. C’est une tentation que j’ai pendant des
périodes de plus en plus longues. » (Bernard-Marie Koltès, Une part de ma vie)
« Je
crois que la seule morale qui nous reste est celle de la beauté. Et il
nous reste à nous seulement la beauté du langage, la beauté comme telle. Sans
la beauté, il ne vaudrait pas la peine de vivre. Alors défendons cette
beauté, protégeons cette beauté, même si elle n’est quelquefois pas très morale.
Mais je crois en fait que la beauté est la seule morale. »
(Bernard-Marie Koltès)
19 juin 2014 – J’ai aussi relu La nuit juste avant les forêts et Roberto Zucco. Quand je disais à M. et
sans aucune présomption que Koltès avait écrit tout ce que j’aurais voulu
écrire, je pensais en particulier à cette première pièce, dont le texte est
simplement admirable de lyrisme
écorché, à fleur de peau… Magnifique.
Ecrite dans l’urgence, inspirée d’un fait
divers, Zucco est une pièce très
étonnante. La langue est brute, presque « non-littéraire » : on
dirait des dialogues de cinéma et la pièce ressemble plus à un film américain
qu’à du théâtre. C’est si je puis dire « ultracontemporain » – la
cabine téléphonique, la mention des tableaux de Picasso, les discussions sur
les marques de voiture. Quoiqu’on y sente aussi beaucoup Shakespeare : les
dialogues entre les gardiens au tout début qui sont un rappel explicite du
début d’Hamlet.
Ce n’est pas la pièce que je préfère de
Koltès…
21 juin 2014 – Ce matin, m’étant
rendormi un moment, j’ai rêvé de M. Nous étions avec quelques amis à elle, à la
terrasse d’un café, dans une ville qui devait être Avignon, je suppose, puisque
nous avions pour projet d’y aller cet été voir une mise en scène de Dans la solitude des champs de coton.
Elle se penchait pour m’embrasser, puis s’éloignait. Je lui demandais où elle
allait. « Je vais acheter des cigarettes… » Plus tard dans la journée, je me suis avisé
que ce rêve n’était peut-être que l’illustration inversée de l’histoire connue
et plaisante du mari qui au bout de quelques années de mariage sort pour
acheter des cigarettes et ne revient jamais !
18 septembre 2016 – Thierry Pech, directeur
général de la fondation Terra Nova – Sur la candidature et le discours de
l’ancien président – Il serait bon d’appliquer « le principe de
précaution », non pour le climat comme celui-ci le suggère ; mais à
son sujet, tant sa dérive droitière devient inquiétante. Un individu dangereux... Il n’y a pas grand-chose à espérer des électeurs de
droite, mais ce serait tout de même un soulagement si ce sinistre arriviste
était éliminé dès les primaires de novembre. L’expression consacrée est
« chasser sur les terres du Front National » ; ce qui d’un
strict point de vue électoral est sans doute porteur, mais pour le reste irresponsable et criminel – L’identité malheureuse (Sic), les racines
chrétiennes de la France, etc. Tout cela est à la fois ringard et nocif…
« Mes racines ? Quelles racines ? Je ne suis pas une
salade ; j’ai des pieds et ils ne sont pas faits pour s’enfoncer
dans le sol. » (Bernard-Marie Koltès, Le
retour au désert)
9 octobre 2016 – Peut-être faut-il avoir
vécu avant de lire ? Quand j’ai lu pour la première fois à seize ou
dix-sept ans Dans la solitude des champs
de coton de Bernard-Marie Koltès, je n’ai pas compris un mot… L’expérience
de ce dont il est question – la nuit, le deal, la drague, le désir interlope et
le désir de se perdre, tant c’est un texte dans le fond suicidaire – me manquait… Et tout cela n’avait aucun sens pour moi…
6 janvier 2017 – Je dois en théorie
préparer des cours sur Roméo et Juliette,
mais comme l’a dit plaisamment Guillaume hier soir, je suis très récalcitrant à l’endroit de
Shakespeare ! De manière générale et à l’exception de Koltès, dont j’aime
l’univers et la langue, le théâtre m’ennuie… Je veux bien encore entendre
parler de Racine ou de Corneille pour la même raison, celle de la beauté de la
langue ; mais le texte de théâtre me semble artificiel et si je dois
absolument lire des dialogues, je préférerai toujours ceux des grands
romanciers : Dostoïevski, par exemple ! J’ai vu quelques belles
pièces, des mises en scène de Beckett ou de Koltès, La nuit juste avant les forêts et En attendant Godot, la même année à Avignon ; mais lire du théâtre, franchement !
2 juin 2019 – « Je ne veux pas espérer le soir, car
je ne veux pas pleurer le matin. » (Bernard-Marie Koltès, Le retour au désert)
5 juin 2019 – « Tout homme devrait porter, chaque
jour, la honte de sa nuit passée, la honte de l’abandon du sommeil. »
(Bernard-Marie Koltès, Le retour au
désert)
7 juin 2019 – Ce qui est admirable
chez Koltès, Le retour au désert…
C’est combien comme Shakespeare – son seul et grand modèle dans le théâtre
finalement – il mêle les registres. Le
retour au désert : c’est de la comédie, qui tourne à la tragédie avant
de retourner à la comédie, du vaudeville, une histoire de fantômes, du cinéma,
une histoire de vengeance, un drame familial dans un contexte historique
précis, celui de la guerre d’Algérie, une réflexion sur l’adolescence, des
délires pseudo-métaphysiques mais puissants, une poésie intense et qui traverse même des personnages peu susceptibles de
poésie. Les plus déplaisants – Adrien – qui au début ne semblent que des
caricatures, gagnent au fur et à mesure en profondeur et complexité.
Ayant passé l’essentiel de ma vie à Metz, « une ville de province, à l’est de la France »,
je trouve naturellement la pièce très drôle pour l’anecdote. Les noms des
personnages – Borny, Plantières – qui sont des rues et des quartiers de ce
« désert » originel… Le style reste inégalé, c’est de la poésie, incarnée à travers la conscience
des différents personnages.
24 octobre 2019 – Les mots de Koltès – Désir, solitude, nuit,
fuite, forêt… Mots de poète. À l´exception de Roberto Zucco dont
l’action trépidante se déroule par moments en plein jour, ses pièces sont
des pièces nocturnes.
Un thème qui traverse toute son œuvre, sans doute le plus
personnel – la perte de l’innocence…
Ce que Koltès rend au théâtre : la poésie et le
surnaturel… Dans ses pièces, la frontière entre le monde des morts et celui
des vivants semble ne pas exister… Ou alors les barrières en sont toujours
levées !
Sans effort, sans difficulté, les morts reviennent sous forme
de fantômes et leur réapparition ne suscite aucun étonnement chez les
autres personnages.
Son théâtre me semble aussi s’écrire contre ce que
l’on a nommé « le théâtre de l’absurde ». L’univers de Koltès
est moins absurde que tragique, et ce malgré la réjouissante inflexion
comique donnée par Le retour au désert.
« Il voyagea. ». Koltès l’affirme à plusieurs
reprises dans ses entretiens. Avant même de songer à écrire, il est
indispensable de voyager, d’aller voir ailleurs, de partir, toujours partir, direction
l’Amérique du Sud, l’Afrique, afin de se confronter à la beauté et à la
misère du monde.
En cette époque sinistre de « repli identitaire »,
où il ne se passe pas un jour sans que l’on nous rabatte les oreilles avec
« l’inquiétude culturelle » qui serait celle du bon peuple
français, j’aime à me souvenir que Bernard-Marie Koltès, pour qui l’identité ne
pouvait être que multiple et fluctuante, aimait Shakespeare et Bob
Marley, les films de Bruce Lee et la beauté des vers raciniens…
Hambourg,
octobre 2019
Frédéric Perrot
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Né à Metz en 1948, Bernard-Marie Koltès est mort à Paris
le 15 avril 1989.
Pièces principales : La nuit juste avant les forêts,
Combat de nègre et de chiens, Quai ouest, Dans la solitude des champs de coton,
Le retour au désert, Roberto Zucco.
Livres sur Koltès :
Christophe
Bident, Bernard-Marie Koltès, Généalogies.
Anne Ubersfeld, Bernard-Marie Koltès.
La biographie
évoquée est celle de Brigitte Salino, Bernard-Marie
Koltès.
Source image :
laisseparlerlesfilles.com