mardi 30 juillet 2019

Toujours être clair


J’ai toujours voulu être clair

La confusion commença dès l’enfance, entre un père veule et une mère un peu folle. Mon père n’aimait rien tant que se taire, ma mère n’aimait rien tant que parler, pour dire n’importe quoi… Ils ne se disputaient pas, ils auraient dû.

J’ai toujours voulu être clair

La confusion continua à l’école, où l’on me berça d’illusions et où je connus la loi du nombre. Les enfants sont des bêtes et j’étais un animal vicieux. Je connus aussi ce que l’école apprend le plus sûrement : l’ennui et les regards désespérés par la fenêtre.

J’ai toujours voulu être clair

La confusion devint douloureuse avec les premiers émois. Et une fois encore je connus la loi du nombre ! Toutes les filles – il est bien question d’elles – me semblaient pour une raison ou une autre désirables. Je n’en aimais aucune… Au fond je n’ai jamais aimé personne.

J’ai toujours voulu être clair

Peu à peu, mon désir de clarté se perdit, dans le tohu-bohu des découvertes et des révoltes sans lendemain. La vie avait eu la bonté de me faire connaître l’alcool, qui me permettait de me sentir vivre et de tout oublier.

J’ai toujours voulu être clair

L’autodestruction est l’activité à laquelle j’ai consacré le plus de temps.

J’ai toujours voulu être clair

Bien obligé, à un moment, j’embrassai une profession ! Ce fut pénible et douloureux pour ne pas changer… On se plaisait à m’entretenir d’un mode de vie qui me semblait navrant. Eternellement la loi du nombre ! Fais comme nous, fais ci, fais ça. Sans aucun mérite, je ne fis rien.

J’ai toujours voulu être clair 

Je dois bien avouer que je me suis créé nombre de labyrinthes et que je n’ai échappé à aucun des pièges tendus par la solitude.

J’ai toujours voulu être clair

Aller d’un pas heureux dans le jour neuf !

Mais décidément, dans cette vie ou en moi-même peut-être, il y avait quelque chose qui faisait obstacle.
                                                                                  


                                                                Frédéric Perrot – Juillet 2019

jeudi 25 juillet 2019

Avant même de commencer

                                                 « La mort viendra et elle aura tes yeux… »
                                                                                    Cesare Pavese

C’est un paysage de dunes d’un gris de cendre, sous un ciel bas d’un gris semblable. Il est là, fétu de paille chassé par le vent, jusqu’à ce qu’il aperçoive, au loin, une autre forme humaine. Ce ne peut être un mirage, une illusion et il s’approche. C’est une très jeune fille, aux cheveux longs et clairs, vêtue d’une belle robe blanche de communiante… Elle est pieds nus et sur le sol à un pas de distance est posé un échiquier aux superbes pièces ouvragées. Elle s’assoit en silence et cela est comme une invitation à faire de même. Il aimerait lui dire quelque chose, mais il a perdu l’habitude de parler et elle ne semble désireuse que de jouer, avançant ses pièces avec assurance et comme si elle connaissait l’infinité des combinaisons possibles. Piètre joueur, il tente faiblement de contenir ses assauts et les terribles percées qu’elle accomplit dans ses lignes de défense. Peut-être n’ont-ils joué que dix coups et déjà se profile sa défaite. Il aimerait lui dire quelque chose, mais il a compris la nature exacte de son adversaire. Ce n’était qu’un mirage, une illusion, une ultime déloyauté pour se rendre attirante… Il aurait dû savoir que la partie était perdue avant même de commencer.


                                                                    Frédéric Perrot – juillet 2019


Cesare Pavese

Source image : Langhe.net

mardi 23 juillet 2019

Près du sombre ruisseau


Près du sombre ruisseau
Des chats naissaient de terre
À la surface appelés
Comme des taupes aveugles
À cette différence près
Que surgissant de terre
Tous ensemble ils miaulaient
Nouveaux-nés affamés

Or ils étaient nombreux
Et malgré les recommandations
De l’austère capitaine
La femme sèche et laide
Qui dirigeait le camp
Je n’avais pas de lait

Où diable d’ailleurs
Aurais-je trouvé du lait
Et un semblant d’assiette

Et même dans mon état
Je dois bien avouer
Que ces animaux-là
Me répugnaient un peu

Comme me répugnait
L’idée que le soir même
Dans la baraque du fond
Pour avoir la vie sauve
Je devrais me livrer
Devenir le mignon
De l’austère capitaine
Qui cravache à la main
Promenait son néant
Près du sombre ruisseau



Le texte est extrait du recueil autoédité Les heures captives (décembre 2012). Frédéric Perrot.

mercredi 17 juillet 2019

Le meurtre de Claire Flamant


Une nuit d’été particulièrement chaude, il rêva du meurtre de sa compagne.

Dans une vaste chambre sans fenêtre, Claire, dont la lourde masse de cheveux sombres semblait s’égayer au hasard des mouvements d’une danse que rien par ailleurs n’attestait, se tenait droite et fière dans un angle obscur ; et, seule une inexplicable luminosité laiteuse, dont on aurait en vain cherché à déterminer l’origine, trahissait sa présence…
À ses pieds, en un monticule confus et sanglant, gisaient les dépouilles de plusieurs oiseaux morts. Une étouffante odeur de poudre alourdissait encore l’atmosphère lugubre de la vaste pièce ; mais il n’y avait nulle part trace d’un fusil ou d’une autre arme à feu… Il semblait d’ailleurs inconcevable que Claire eût pu s’adonner à cette pratique qu’ils tenaient tous deux pour un reste de barbarie !
Il voulut lui parler, afin de lui demander raison de cet écœurant tableau de chasse ; mais à travers le vaste et silencieux espace qui les séparait, sa voix ne portait pas et il dut s’approcher, avec des mouvements pénibles et las…

Alors, dans le dos de Claire, comme confondu avec la paroi et prêt à en surgir avec l’élan effroyable d’une gargouille, il remarqua un être masqué et musculeux et dont les proportions étaient si parfaites qu’elles évoquaient les patients efforts d’un sculpteur… Homme ou statue, l’être masqué semblait de toutes ses forces vouloir se libérer, s’arracher à la prison que constituait pour lui le plâtre gris du mur…
Et dans son élan désespéré pour échapper à la rude impassibilité de la matière, le masque, penché au-dessus de Claire comme pour lui murmurer un mot à l’oreille ou déposer dans son épaisse chevelure la promesse d’un baiser, le masque pleurait… Et des larmes rouge sang dégoulinaient en de sinueux ruisseaux, sur tout le corps blanc et à présent soulevé de convulsions de la jeune femme qui haletait, et dont les traits, autrefois paisibles et doux comme ceux d’un enfant, se tordaient dans les affres d’une douleur et d’un plaisir inconnus…
En un instant, il comprit qu’il devait mettre fin à cet épouvantable accouplement ; et, avisant sur le sol, dans la poussière, un vase brisé, il l’empoigna ; et, en le soulevant à bout de bras, avec un mouvement de rage aveugle et de toutes ses forces, il enfonça l’hideux tesson dans la chair molle et le ventre rebondi de sa compagne…

Lorsque dans un frisson, il ouvrit les yeux, il se tenait au bord du lit de Claire ; et, en écartant le drap avec un geste fiévreux, il découvrit la large auréole de sang dans laquelle baignait son corps blanc et sans vie…
Il quitta la chambre et se rendit dans le salon où il composa le numéro de la police.
« C’est pour vous signaler un meurtre, dit-il d’une voix blême et perdue, c’est pour vous signaler un meurtre, quelqu’un a assassiné ma compagne et l’enfant qu’elle portait, quelqu’un, qui, moi, je ne sais pas, a cette nuit, assassiné Claire Flamant… »


         Le texte appartient au recueil autoédité Les heures captives (décembre 2012). Frédéric Perrot.

mercredi 10 juillet 2019

Inextricable et sans raison

Paul Verlaine 


                        « Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison. »
                                               Paul Verlaine


Dès l’instant scabreux du réveil,
Une tristesse inextricable
Laisse tomber son lourd filet.

Sous quelque chose d’invisible, 
Si faiblement je me débats…

Et les larmes me montent aux yeux,
Coulant pour rien
Comme l’eau rêvée des fontaines...


Source image : Les voix de la poésie

                                                          
                                                                                  Frédéric Perrot – Juillet 2019

lundi 8 juillet 2019

Le palais du rêve

Pétra en Jordanie 


C’est une mer imprévue, d’un bleu admirable, cernée par de hautes falaises blanches, un blanc de craie maculé çà et là de jaune, des falaises si hautes que l’on ne peut apercevoir le ciel au-dessus ; c’est une mer imprévue, inattendue, surgie au détour d’un sentier, d’une route devenue sentier et poussière, une mer d’un bleu admirable, qui n’est pas de ce monde, une mer presque immobile, comme un mirage, une illusion, une peinture où les mouvements complexes de l’eau et des vagues, rendus par les efforts patients de l’artiste, demeurent sur la toile à jamais figés ; une mer qui interrompt soudainement le sentier de poussière, et sur laquelle le promeneur peut aller – ô l’heureuse surprise ! – sans s’y enfoncer, marcher, sans se noyer, jusqu’à contourner un énorme pan de rocher, dissimulant un temple et ses colonnades de marbre gris, entre lesquelles apparaissent tour à tour les ombres furtives d’autres promeneurs solitaires ; ainsi qu’en face, à flanc de falaise, se détachant de la blancheur de craie de la pierre, dans la lumière transparente du jour, les portes d’or d’un merveilleux palais, comme il n’en existe pas… Est-ce là que se cache son jeune amour perdu ? Est-ce là…
         Le rêveur se réveille en se murmurant, quel beau rêve, quel beau rêve… Avant de considérer de ses grands yeux ouverts sa triste chambre et sa solitude sordide.


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Je ne suis jamais allé en Jordanie, mais sans doute que le rêve à l’origine du texte était en partie un souvenir d’une vision rapide du palais de Pétra dans un film ou un documentaire. Le texte appartient au recueil autoédité Les heures captives (décembre 2012). Frédéric Perrot


Source image : Geo.fr