mercredi 30 mai 2018

rêverie clandestine

          when you sleep I will creep
          into your thoughts
          like a bad debt
          that you can’t pay
          Morrissey, The more you ignore me the closer I get


C’était une belle soirée d’été. Silencieusement nous marchions en nous tenant la main, heureux l’un de l’autre, comme un homme et une femme peuvent l’être parfois.
À un moment, je ne sais pourquoi ni comment, je me souviens que dans le lointain sonnait l’angélus, je suis entré par effraction dans tes pensées ; et ce que j’y ai découvert, m’a déplu…

Comme un amateur d’art soudain projeté dans le tableau qu’il contemplait un instant auparavant, égaré et ne sachant ce qui m’arrivait, j’errais clandestinement parmi tes souvenirs et tes secrets…
C’était en un flot rapide, tourmenté, des images qui n’étaient guère à mon avantage, et des mots sans indulgence qui sans cesse te revenaient, avant de disparaître, emportés par un violent courant…
Une image parmi toutes et qui, cruelle, précise, ne laissait aucun doute quant à la nature exacte de tes sentiments pour moi, me confondit ; et ma rêverie clandestine s’estompant aussi brutalement qu’elle avait commencé, je me sentis revenir à moi…

« Qu’as-tu ? Tu es tout pâle… »
Tu me regardais et pour la première fois, je remarquais l’éclat froid de tes yeux et à la commissure de tes lèvres, comme l’ombre d’une grimace…
Mais je savais tout, je savais tout, j’avais lu en toi comme en un livre ouvert ; et en prétextant une légère fatigue, en évoquant machinalement l’air qui s’était soudain si rafraîchi, je t’ai demandé de rentrer, tout en me répétant que cette belle et heureuse soirée d’été serait la dernière et que demain, demain tout serait fini…



Le texte est extrait du recueil autoédité Les heures captives (décembre 2012)

Pour écouter la chanson de Morrissey, extraite de l'album Vauxhall and I (1994)

https://youtu.be/sCBIUK7s0MM

Morrissey


Source image : Open Spotify

mardi 22 mai 2018

Cesare Pavese (Le métier de vivre)


Quelques notes au fil de la lecture  


Celui qui hait (p.164) : « Il faut au moins aimer les choses, pour créer quelque chose. Pour être seul et créer quelque chose. Celui qui hait n’est jamais seul : il est en compagnie de l’être qui lui manque.»

Le repos troublé (p.168) : « La mort est le repos, mais la pensée de la mort trouble tout repos.»

La religion ne disparaîtra pas (p.190) : « La religion consiste à croire que tout ce qui nous arrive est extraordinairement important. C’est précisément à cause de cette raison qu’elle ne pourra jamais disparaître du monde. »

Sur la réussite et l’ambition (p.192) : « Réussir quelque chose, n’importe quoi, est de l’ambition, une sordide ambition. Il est donc logique de recourir aux moyens les plus sordides.»

Sur la lecture (p.217) : « Quand nous lisons, nous ne cherchons pas des idées neuves, mais des pensées déjà pensées par nous, qui acquièrent sur la page imprimée le sceau d’une confirmation. Les paroles des autres qui nous frappent sont celles qui résonnent dans une zone déjà nôtre – que nous vivons déjà – et, la faisant vibrer, ils nous permettent de saisir de nouveaux points de départ au-dedans de nous.»

Sur la guerre (p.240) : « La guerre rend barbare parce que, pour la combattre, il faut se durcir envers tout regret et tout attachement à des valeurs délicates, il faut vivre comme si ces valeurs n’existaient pas ; et, une fois la guerre finie, on a perdu toute latitude de revenir à ces valeurs.»

Sur la poésie et son avenir (p.266) : « Il viendra un temps où notre foi commune en la poésie fera envie.»

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Le métier de vivre est le journal intime qu’a tenu le poète Cesare Pavese de 1935 à 1950. Le journal s'achève le 18 août. Pavese se suicide le 27 août 1950.


Cesare Pavese



Source image : Langhe.net

samedi 12 mai 2018

Louis Calaferte

Louis Calaferte par Jimmy Poussière





           Il faisait si beau ce matin-là que, par pitié autant que par une espèce de pudeur gênée, la famille s’accorda sur le fait qu’il était en quelque sorte décent de tirer les doubles rideaux de velours devant la fenêtre de la chambre où le vieil homme vivait ses derniers instants. Ce fut l’aînée des filles qui s’en chargea, tandis que le reste des familiers, dont quelques-uns alertés d’urgence n’étaient arrivés que la veille, s’attablait en silence dans la salle à manger voisine pour le petit déjeuner.
Bien qu’elle prît la précaution, comme chacun depuis des semaines, de marcher sur la pointe des pieds, sa présence n’échappa pas au moribond. Ainsi qu’il le faisait depuis qu’il n’avait plus la force de soulever la tête, élevant faiblement une main qui retomba aussitôt sur le rabat du drap, d’une voix calleuse il s’informa en quelques mots du temps qu’il faisait.
-  Epouvantable, lui répondit en chuchotant la jeune fille sans oser se retourner vers lui. Du vent et de la pluie, comme tous ces jours-ci.
Les doubles rideaux coulissèrent, ne laissant plus filtrer dans la pièce qu’une lumière diffuse.
La voix sans tonalité qu’un souffle court émiettait semblait flotter sans consistance entre les murs :
-  Tant mieux… Je n’aurais pas voulu partir par un beau soleil…

                                         Louis Calaferte, extrait de Promenade dans un parc 


Louis Calaferte (1928-1994) est l’auteur d’une œuvre abondante. Son livre le plus fameux est le « scandaleux » Septentrion (1963) qui eut le bel honneur d’être frappé de deux interdictions émanant du Ministère de la Santé (sic) et du Ministère de l’Intérieur. Le livre « maudit » sera finalement réédité vingt ans plus tard par les éditions Denoël.

Le sosie

Ce matin, en sortant de l’ascenseur, j’ai croisé mon sosie. Nous nous sommes considérés un instant en silence, comme deux duellistes au moment de lever leur pistolet ; puis, en me bousculant, il est entré dans l’ascenseur, m’adressant encore des clins d’œil moqueurs, alors que les portes se refermaient…

Je m’en étais toujours douté ; mais à présent, j’en étais sûr : je savais où il allait, à quel étage et dans quel appartement, il avait peut-être même qui sait un double des clés ; et dans la chambre, allongée en travers du lit, ma femme l’attendait…

Immobile devant les portes refermées, pendant un moment encore, je me suis plu à m’imaginer la scène, m’inventant pour moi-même des détails savoureux…
Puis, en consultant ma montre, j’ai constaté que je m’étais mis en retard ; et, en traversant le hall à grands pas, je me suis précipité au dehors…

                                            Frédéric Perrot


Max Beckmann, Vampire
(Exposition Die Tiere)

vendredi 4 mai 2018

le manque d'attention (accompagné d'un dessin de Jimmy Poussière)


Nous manquons d’attention, pour ce qui n’est pas l’homme. Promiscuité oblige, nous accordons, au détriment du reste, trop d’importance à ce bipède funeste… Et ainsi naissent nombre de nos tourments.

Ou : « Par je ne sais quel travers psychologique, nous préférons le bavardage d’un imbécile au silence d’un arbre… Pourtant le bavard ne se soucie pas plus de nous que le conifère. »

L'homme occupe trop de place, l’homme occupe toute la place : comme un vain limaçon, laisse partout sa trace… « Et si tu te plais à rêver à un paysage sans l’homme, autant t’embarquer tout de suite pour une autre planète ! »

« Any where out of the world » – Loin des mers polluées, des continents de déchets, des cimes défigurées… Qui pourrait regretter une planète-dépotoir ?

L’autre de l’homme – « À mon grand regret, je n’aime pas particulièrement les animaux… Mais parmi tout ce qui me fait désespérer de la bêtise de l’homme, il y a la corrida, l’élevage en batterie, les abattoirs… Une promenade au zoo peut également être une leçon de philosophie. Comment oublier cet ours polaire et l’insondable tristesse que trahissait le moindre de ses mouvements ? On eût dit un quelconque dépressif… »

« Maître et possesseur de la nature » – L’absurde rêve de Descartes pleinement réalisé, l’autre de l’homme se réduit comme peau de chagrin… Pendant des années, tu pouvais te rassurer en te disant : « Tant qu´il y a encore les oiseaux… » Mais eux-mêmes disparaissent et le « ciel vide » des philosophes et des poètes prend un sens plus concret.

Le manque d’attention – « Pourquoi tes yeux ne se posent-ils plus sur moi ? Pourquoi es-tu si distant ? » « Quelle tristesse… Comment pourrais-je me soucier du monde ? Je manque d’attention, même pour ceux qui s’efforcent de m’aimer… »


Jimmy Poussière


Si l'infini gouverne (fragments choisis de Jimmy Poussière)



Tant que tu satisfais aux intérêts du groupe, tout le monde taime.

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Rater sa vie, cest assez simple. Je me demande dailleurs si ce nest pas uniquement – ou presque –  un truc de fainéant.

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 Le seul avantage à se prendre pour un poète, cest quil ny ait aucune obligation de résultat.

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Le peu de chose que tu savais, ou que tu pensais savoir dans ta vie de tous les jours et face à la feuille blanche, tu las définitivement oublié et perdu.

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 Oublie-toi à jamais et deviens libre.

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 Les émotions, on peut très bien les circonscrire. Il faut juste avoir le courage de vieillir un peu.

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 Cest linfini qui gouverne. Toi, tu nes là que pour rendre des comptes.