vendredi 30 décembre 2022

Cénacle (ou Famille maudite)

 

Edgar Allan Poe par Eric Doussin

Je parlerai ici

À titre personnel

Jamais je n’édifie

Le moindre panthéon

 

Mais j’aime à me sentir

Proche par l’esprit

Du poète qui écrivait

Avec une fierté superbe

 

Je hais les testaments et je hais les tombeaux

 

Et qui aspirant au sommeil jalousait

Le sort des plus vils animaux…

 

J’aime à me souvenir du Montévidéen

Précoce jusque dans la mort

Et du fuyard de Charleville

Atrocement déçu à vingt ans

 

La vie est la farce à mener par tous

 

À cette Famille maudite

S’ajoutent encore Edgar Poe

Le plus lugubre

Des oncles d’Amérique

 

Et en bout de table

Verlaine le plus humain

Et le plus longuement ivrogne

De ce cénacle clos !

 

 


Cette fantaisie a été écrite en novembre 2015. Baudelaire est le traducteur et l’introducteur en France d’Edgar Allan Poe. Rimbaud mentionne Poe de façon assez nébuleuse en « surtitre » d’un poème nommé selon les versions Mémoire ou Famille maudite. Quant au Montévidéen, Lautréamont, mort à 24 ans, redevenu Isidore Ducasse, dans Poésies I, il rejette Poe comme une des « Grandes-Têtes-Molles de notre époque » et le désigne ainsi, au gré d’une liste outrancière et amusante : « … le Mameluck-des-Rêves-d’Alcool » ! Frédéric Perrot 


jeudi 29 décembre 2022

Sur Les Frères Karamazov (notes et citations)


 

Dmitri est le plus humain des trois frères, le passionné, le jaloux. « L’humiliation, partage de l’homme, voilà, frère, presque l’unique objet de ma pensée. » (p.168)

C’est lui qui déclare : « La beauté, c’est une chose terrible et affreuse. Terrible, parce qu’indéfinissable, et on ne peut la définir, parce que Dieu n’a créé que des énigmes. Les extrêmes se rejoignent, les contradictions vivent accouplées. Je suis fort peu instruit, frère, mais j’ai beaucoup songé à ces choses. Que de mystères accablent l’homme ! Pénètre-les et reviens intact. Par exemple la beauté. Je ne puis supporter qu’un homme de grand cœur et de haute intelligence commence par l’idéal de la Madone, pour finir par celui de Sodome. Mais le plus affreux, c’est, tout en portant dans son cœur l’idéal de Sodome, de ne pas répudier celui de la Madone, de brûler pour lui comme dans ses jeunes années d’innocence. Non, l’esprit humain est trop vaste, je voudrais le restreindre. Comment diable s’y reconnaître ? Le cœur trouve la beauté jusque dans la honte, dans l’idéal de Sodome, celui de l’immense majorité. Connaissais-tu ce mystère ? C’est le duel du diable et de Dieu, le cœur humain étant le champ de bataille. Au reste, on parle de ce qui vous fait souffrir. » (p.169-170)

 

La réponse d’Aliocha – « L’échelle du vice est la même pour tous.» (p.171)

 

Le roman raconte la plus hideuse des rivalités – celle d’un père et d’un fils, qui désirent la même cocotte…

 

Le père est haïssable – c’est un être vil, qui a tous les vices ; il est grossièrement sensuel : c’est un ivrogne, un cabotin, « un bouffon ».

Il est « méchant et sentimental ».

Il aime l’argent, non comme un avare, mais parce que l’argent permet d’acheter les corps et les âmes et il y a cet étonnant passage où il avoue qu’il lui faudra de plus en plus d’argent, car en vieillissant, il sera de moins en moins appétissant

Ce qui étonne : la sincérité de son cynisme… Il prétend aimer Aliocha ; il n’aime personne…

 

Une odieuse pensée parcourt tout le roman – le père est un être si abject, qu’il mérite la mort… Mais Aliocha à Ivan : (p.213-214)

« Frère, permets-moi encore une question. Se peut-il que chacun ait le droit de juger de ses semblables, de décider qui est digne de vivre et qui en est indigne ?

- Que vient faire ici l’appréciation des mérites ? Pour trancher cette question, le cœur humain ne se préoccupe guère des mérites, mais d’autres motifs bien plus naturels. Quant au droit, qui donc n’a pas le droit de souhaiter ?

-  Pas la mort d’autrui. »

 

   Dans la plaidoirie de l’avocat de Dmitri : « Car, hélas, certains pères sont de vraies calamités.». Et : « … il ne suffit pas d’engendrer pour être père, il faut encore mériter ce titre. » (p. 912-915) 

 

Le « quatrième » frère Karamazov – Smerdiakov, « l’instrument » d’Ivan, dont on apprend qu’enfant, il aimait à « pendre » des chats. Jusqu’à son nom est significatif de son abjection. C’est lui qui suggère aussi au pauvre petit garçon « fier » (Ilouchia) de mêler des aiguilles à la mie de pain, provoquant la mort de son chien Scarabée et le désespoir du petit garçon…

 

Aliocha à la bande de garçons après l’enterrement : « Sachez qu’il n’y a rien de plus noble, de plus fort, de plus sain et de plus utile dans la vie qu’un bon souvenir, surtout quand il provient du jeune âge, de la maison paternelle. On vous parle beaucoup de votre éducation ; or, un souvenir saint, conservé depuis l’enfance, est peut-être la meilleure des éducations : si l’on fait provision de tels souvenirs pour la vie, on est sauvé définitivement. Et même si nous ne gardons au cœur qu’un bon souvenir, cela peut servir un jour à nous sauver. » (p.951) 

 

La folie d’Ivan – je pensais à cette phrase de Baudelaire : « … la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas ! ». Et au film Usual Suspects, qui s’achève par cette phrase du Joueur généreux. Mais Ivan est seul dans sa chambre et en proie à l’hallucination – Ce n’est pas l’épisode le plus convaincant du roman… (Livre XI, chapitre IX)

 

Plus convaincant est le si beau et si sombre passage sur « la souffrance des innocents » – Ivan est convaincant dans sa révolte (Livre V, chapitre IV). Sa démonstration est d’ailleurs irréfutable ; ce qu’admet Aliocha, quand Ivan lui demande s’il doit s’arrêter : « Non, je veux souffrir, moi aussi. Continue.» (p.340)

 

La souffrance des innocents – elle n’est pas seulement la matière des sombres spéculations d’Ivan ; elle est incarnée dans le roman dans la figure du pauvre petit garçon (Ilouchia). Ilouchia est innocent dans tous les sens du terme : l’idée mauvaise lui a été soufflée par un adulte (Smerdiakov). Le pauvre petit garçon souffre également de l’humiliation de son père.

 

Comme Crime et Châtiment, Les Frères Karamazov est un roman policier.

 

Sur la souffrance des innocents – selon Dostoïevski, ce chapitre est « le point culminant » de l’œuvre : « Mon héros a choisi un thème, selon moi, irrésistible, l’absurdité de la souffrance des enfants, et il en déduit l’absurdité de toute la réalité historique… C’est un personnage suprêmement réel… Tout ce qu’il dit est fondé sur des faits réels. » (Pierre Pascal, Dostoïevski l’homme et l’œuvre, p.290)

Les « faits réels » sont empruntés à la chronique judiciaire. (Postface de Pierre Pascal, p.962)

 

 

Ces quelques notes ont été prises en avril 2015. Frédéric Perrot.

 

mercredi 28 décembre 2022

De mornes étendues

 

                                        And the trees are burning in your promised land…

                                                                             Leonard Cohen

 

 

Au-delà des cercles de feu

Était l’espérance

 

Mais est-ce là

Le pays rêvé

 

Est-ce là

La récompense

 

Un horizon de décombres

De mornes étendues…

 

Le voyage a été long

Beaucoup sont morts

 

Ils seront morts heureux

Dans l’ignorance

 

De la vérité désolée

Au-delà des cercles de feu

 

 

 

                                           Écrit en 2016. Frédéric Perrot

 

 

Pour écouter Diamonds in the mine de Leonard Cohen :


https://youtu.be/9anYqMcrADQ

mardi 27 décembre 2022

De fieffés idiots

 

                                                   à tous les poètes tristounets

 

 

Nous sommes de fieffés idiots

Des pitres

Des êtres frivoles

 

Superficiels

Sans profondeur

Redondants en cadence !

 

Mais fermement nous refusons

 

D’affubler du beau nom de poésie

L’obscène complaisance à déverser sa boue

Et son lugubre tourment personnel

 

Sous le prétexte spécieux

Que les rues et les cieux

Furent si sombres ce matin

 

Et les oiseaux absents

Partis fienter ailleurs

Comme l’Aimée

 

Lasse sans doute

De tout ce brouhaha brahmanique

Et désireuse de jouir !

 

 

Cette petite « blague » a été écrite en 2016 à Marseille. Frédéric Perrot.  

lundi 26 décembre 2022

Avec désinvolture (pour Valentine)


 

 Présentation de l’éditeur :

 

L’Histoire désinvolte du surréalisme a été rédigée en 1970, alors que Raoul Vaneigem participait à l’Internationale situationniste (IS), à la demande d’une maison d’édition qui projetait de la publier dans une collection destinée aux lycéens. La collection ayant été abandonnée, le manuscrit fut restitué et resta confiné dans un tiroir pendant quelque temps, jusqu’au jour où Jean-Claude Hache, à la recherche de textes à éditer, en prit connaissance et obtint l’accord pour une publication. Le livre parut un an plus tard chez Paul Vermont (John Gelders) sans avoir été relu. En 1988, Pierre Drachline confia aux éditions L’instant le soin de le republier. Non relu, le texte a les mérites et les inconvénients de la spontanéité. Le pseudonyme choisi pour les premières publications, Jules-François Dupuis, concierge de l’immeuble où mourut Lautréamont et signataire de son acte de décès, dit assez que l’ouvrage participe essentiellement de ces divertissements érudits où l’on prend plaisir à se dissiper. En six chapitres et quelque 200 000 signes, Raoul Vaneigem pointe les forces et les faiblesses du mouvement surréaliste, tout en rendant hommage à Crevel, Artaud et Péret. Le texte est à la fois mordant et polémique, instructif et passionnant, une fois passées les premières pages assez hermétiques, peut-être destinées à faire fuir le lecteur insuffisamment attentif.

samedi 24 décembre 2022

La veste (pour Fatiha)

 

    « Au bout, à l’extrême bout de la rangée des baraques, comme si, honteux, il s’était exilé lui-même de toutes ces splendeurs, je vis un pauvre saltimbanque, voûté, caduc, décrépit, une ruine d’homme, adossé à un des poteaux de sa cahute… »

                                                              Charles Baudelaire, Le vieux saltimbanque

 

             

       Vous trouvez qu’elle me va ? Vraiment ? Vous êtes sûrs ? Moi, avec une telle veste, il me semble que je pourrais encore pousser la chansonnette, esquisser un pas de danse, j’ai été un peu acteur dans le temps, j’ai l’air bien vieux, mais si je vous disais mon âge et ce par quoi je suis passé, dans les deux cas, vous seriez étonnés…

       Vous trouvez qu’elle me va ? Vraiment ? Je l’ai dénichée là-bas dans les poubelles, je suis pauvre, vous comprenez ? Elle m’a paru neuve, et elle ne sent pas mauvais… Elle ne me serre pas trop aux épaules au moins ? C’est que malgré tout je tiens à ma liberté, ma liberté d’allure, je veux dire… Cela me rappelle l’époque, il y a longtemps, où j’étais un peu acteur, où sans me forcer et même avec une voix émouvante, je pouvais pousser la chansonnette, dans les cabarets, je portais beau alors, un vrai artiste, chanteur, acrobate, magicien… Oui, je sais j’ai l’air bien vieux, mais si je vous disais mon âge véritable et ce par quoi je suis passé, moi-même j’ai du mal à y croire…

       Je ne veux pas vous importuner surtout : vous pouvez me demander de partir si je vous dérange, mais soyez assurés que je ne mendie pas, je ne demande pas l’aumône, cette histoire de veste c’est un peu ridicule, je l’avoue, je voudrais juste ne pas me tromper, car si elle ne me va pas, il vaut mieux que je la remette où je l’ai trouvée, elle fera peut-être le bonheur d’un autre, comment dit-on en langage poli, un autre… infortuné ? Les poubelles sont à tout le monde, n’est-ce pas ?

       Oh, je vois que Monsieur fronce du sourcil : ce n’est pas ce que je voulais dire, je ne voulais pas être désagréable, parfois ma pensée m’échappe, j’ai l’air bien vieux, c’est sûr, mais si je vous disais quel âge j’ai en fait et ce par quoi je suis passé, dans les deux cas, vous seriez étonnés, on prend parfois dix ans en quelques jours, en quelques heures, moi-même j’ai du mal à y croire…

       Mais je ne veux pas vous importuner plus longtemps, il est tard, il me semble…Vous trouvez qu’elle me va ? Vraiment ? Vous en êtes bien sûrs ?

 

 

Le texte a été écrit en décembre 2013 à Marseille. L’anecdote à l’origine est bien sûr authentique. Nous étions devant un bar avec Fatiha boulevard Longchamp, quand nous vîmes s’approcher un homme un peu perdu, qui voulait savoir si la veste qu’il avait trouvée lui allait… Rassuré sur ce point, il nous prit une cigarette et passa son chemin. Frédéric Perrot


vendredi 23 décembre 2022

Sous le signe de la patience (pour Alain)


 

Dans la mythologie chinoise

Parmi les cinq animaux célestes

Le Serpent jaune au centre enroulé

Représente la vigilance et la stabilité

 

Les quatre autres animaux protecteurs

Sont au nord la Tortue noire

À l’est le Dragon vert à l’ouest le Tigre blanc

Au sud le Phoenix rouge

 

Belles sont les représentations

De ces animaux symboliques

Qui montent la garde autour de la maison

Ce n’est pas là le problème

 

Le plus gênant est la position centrale du Serpent

Et qu’il soit entre autres symbole de la patience

Ce qui même en y réfléchissant

Est assez choquant pour l’esprit

 

Son élément est la Terre on s’en serait douté

À tout prendre les quatre autres animaux

Semblent bien plus sympathiques

 

Et il est certain qu’on lui préfèrera

L’oiseau fabuleux immortel

Symbole de la joie et de l’espoir !

 

 

       Cette « chinoiserie » un brin potache a été écrite en 2016. Le Lotus bleu, dans lequel Tintin rencontre Tchang, affronte la même bande de trafiquants internationaux et de bien cruels Japonais, est la suite immédiate des Cigares du Pharaon. Frédéric Perrot.


Les Cigares du Pharaon (pour Arthur)


 

Présentation de l’éditeur :

 

Les dessins de la première version des Cigares du Pharaon diffèrent totalement de l’édition courante : c’est un graphisme plus rond, influencé par l’Art déco, qui s’inscrit dans la même veine graphique que Tintin au pays des Soviets. Ce récit original est enfin proposé dans une palette de couleurs totalement inédite qui stimulera l’imagination du lecteur tout en respectant les traits et aplats noirs tracés et posés par Hergé. Les coloristes se sont inspirés de l’esprit artistique qui a guidé la colorisation de films en noir en blanc. Ainsi se trouvent exprimés le chatoiement des villes traversées, la luxuriance de la jungle, les harmonies ocres des déserts ou les tonalités des fresques égyptiennes.

Cette adaptation est précédée d’une passionnante préface de l’hergéologue Philippe Goddin qui partage avec nous son regard d’expert et nous livre des observations exclusives. La couverture reproduit une case extraite de l’édition originale ajustée au format.

mardi 13 décembre 2022

Monochrome violent

Nicolas de Staël, Le Concert

 

Comme le peintre

Par désespoir

 

Éclabousse sa toile

D’une large gerbe rouge

 

Ses songes sont

D’un monochrome violent

 

Il nettoie à l’éponge

Des murs dégoulinants

 

Il porte des seaux

Qui débordent

 

Dans les couloirs labiles

Des abattoirs

 

Et quand on lui tend

Un cœur fraîchement ôté

 

De la poitrine d’un homme

Le sien peut-être

 

Il se réveille

En un sursaut

 

D’invincible

Dégoût

 

 

 

Ce poème a été écrit en 2016. Le peintre auquel je songeais est Nicolas de Staël. Frédéric Perrot

lundi 12 décembre 2022

L'ingéniosité humaine

Eric Doussin, Naufrages

 

Comme Ulysse échappa aux Sirènes

Grâce à des cordes et de la cire

 

Ce qui n’eût été rien

Sans le vent qui chassa son navire

 

L’ingéniosité humaine

Souvent serait lettre morte

 

Sans le secours

Que la fortune lui porte

 

 

                                           Ecrit en 2015. Frédéric Perrot

jeudi 8 décembre 2022

Le secret de tes cris

 

                                  Flottez hippocampes

                               Droits comme des i

                               Laissez-vous porter

                               Par l’extrême obligeance


                                                      Alain Bashung, À Ostende

 

                              

 

Las des scènes de rue

 

Les ombres assemblées

Pour un combat obscur

 

Désespèrent d’emblée

Toute architecture 

 

Si le cercle est éclairé

Les vétilles disparaissent

 

Tout semble possible

Sous le coup de la colère

 

Mais garde pour toi

Le secret de tes cris

 

Et admire

Sans sourciller

 

La fière flottaison

Des hippocampes poétiques

 

Que transporte la certitude

De leur ineffable vérité

 

L’ironie n’est plus de mise

Face à tant d’efforts patients

 

Pour se hisser à l’illisible

Critère absolu !

 


 

Ce poème écrit en 2016 avait pour but à l’origine de critiquer le goût de certains poètes contemporains pour l’hermétisme, voire l’illisible, ce « critère absolu » : par mépris du lecteur, qui ne peut être qu’un imbécile, n’est-ce pas ?

Ce sont des propos que j’ai entendus souvent ou lus, de la part de prétendus poètes. Le sujet étant vain, le poème l’est aussi, mais cela permet d’écouter un morceau de  Bashung ! Frédéric Perrot


 

Pour écouter la chanson de Bashung : https://youtu.be/lI5kzn4panw