mardi 31 mars 2020

Lettre d'Annie Ernaux au Président de la République


Cergy, le 30 mars 2020
Monsieur le Président,
« Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le temps ». À vous qui êtes féru de littérature, cette entrée en matière évoque sans doute quelque chose. C’est le début de la chanson de Boris Vian Le déserteur, écrite en 1954, entre la guerre d’Indochine et celle d’Algérie. Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez, nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières et les différences sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un autre. Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre de médecins, de scientifiques, de soignants. Or, depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et ce qu’on pouvait lire sur la banderole d’une manif en novembre dernier – l’état compte ses sous, on comptera les morts – résonne tragiquement aujourd’hui. Mais vous avez préféré écouter ceux qui prônent le désengagement de l’État, préconisant l’optimisation des ressources, la régulation des flux, tout ce jargon technocratique dépourvu de chair qui noie le poisson de la réalité. Mais regardez, ce sont les services publics qui, en ce moment, assurent majoritairement le fonctionnement du pays : les hôpitaux, l’Éducation nationale et ses milliers de professeurs, d’instituteurs si mal payés, EDF, la Poste, le métro et la SNCF. Et ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient rien sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles, de taper les produits aux caisses, de livrer des pizzas, de garantir cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle, la vie matérielle.  
Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après un traumatisme. Nous n’en sommes pas là. Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause. Un temps pour désirer un Nouveau Monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent déjà sans pudeur l’antienne du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine. Nous sommes nombreux à ne plus vouloir d’un monde dont l’épidémie révèle les inégalités criantes, nombreux à vouloir au contraire un monde où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités actuelles montrent, justement, la possibilité. Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie,  nous n’avons qu’elle, et  « rien ne vaut la vie » – chanson, encore, d’Alain Souchon. Ni bâillonner durablement nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes, liberté qui permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale.
                                                                                                 Annie Ernaux



Annie Ernaux

lundi 30 mars 2020

Edition spéciale


À l’heure où nous parlons
Nous sommes sans nouvelles
De la jeune Ophélie

Vaccin contre la mort découvert au Brésil
Soutenue par le consortium pharmaceutique
L’Agence du médicament dément

La star electro-pop Hermaphrodite
Réclame dans une lettre ouverte au pape
De pouvoir épouser sa tortue empaillée

Soupçonné de violences sexuelles
Le prix Nobel de physique répond :
« Je n’ai aucun goût pour les femmes de couleur »

En bref conflit sino-indien
Malgré des signes d’assouplissement
Les négociations restent dans l’impasse

À l’heure où nous parlons
Nous sommes sans nouvelles
De la jeune Ophélie

Vaccin contre la mort découvert au Brésil…


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Ce texte a été écrit en décembre 2018. Il s’agissait bien sûr de se moquer des messages défilants sur les chaînes d’informations en continu. Mais comme aujourd’hui, les éditions spéciales, c’est à toute heure, à chaque minute ou quasiment, je le republie.

Dans Les Chants de Maldoror, Lautréamont imagine que son lecteur devra reconnaître, non sans une certaine admiration, ceci : « Il m’a beaucoup crétinisé.»
Que puis-je dire d’autre ? Le système économique dominant, particulièrement en temps de crise, désire beaucoup nous crétiniser... Et il ne s’agit en aucun cas de se laisser faire !

                                                                Frédéric Perrot

dimanche 29 mars 2020

Mon double et moi




                             « I met myself in a dream
                             And I just want to tell you that everything was allright »
                                                                              Lou Reed


Depuis plusieurs jours,
J’ai pris l’importante décision
De garder mes distances,
De me tenir à au moins un mètre de moi-même…

On n’est jamais trop prudent !

Quand dans le grand appartement,
Je croise mon double,
Nous évitons toute manifestation fraternelle
Tels que serrements de mains, accolades, embrassades…

J’ai été très inquiet pendant un moment
Pour mon double…
Lui d’ordinaire si silencieux
Ne cessait plus de répéter :

Edition spéciale
Edition spéciale
Edition spéciale
Edition spéciale…

Le pic de la crise a été atteint
Quand en pleine nuit il s’est mis à taper
Bruyamment sur le piano –
Juste pour emmerder les voisins !

Il s’est calmé depuis heureusement,
S’est plongé dans la lecture
De Mars de Fritz Zorn
Dont il me lit des extraits… accablants.

Je ne sais combien de temps
Mon double et moi,
Nous parviendrons à nous supporter…
Il ne faudrait pas que cela dure éternellement !


                                                                        Frédéric Perrot – Mars 2020

Une voix venue d'ailleurs (poème de Louis-René des Forêts)

Louis-René des Forêts


Une ombre peut-être, rien qu’une ombre inventée
Et nommée pour les besoins de la cause
Tout lien rompu avec sa propre figure.
Si faire entendre une voix venue d’ailleurs
Inaccessible au temps et à l’usure
Se révèle non moins illusoire qu’un rêve
Il y a pourtant en elle quelque chose qui dure
Même après que s’en est perdu le sens
Son timbre vibre encore au loin comme un orage
Dont on ne sait s’il se rapproche ou s’en va.  

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Ces dix vers constituent la fin « ouverte », non conclusive des Poèmes de Samuel Wood de l’écrivain français Louis-René des Forêts (1918-2000), auteur que l’on connaît principalement pour cet étrange roman « dostoïevskien » qu’est Le Bavard (1946).
L’œuvre poétique de Louis-René des Forêts est mince, mais en 1967, il fonde la revue L’Ephémère avec Yves Bonnefoy, André du Bouchet, Paul Celan, Jacques Dupin, Michel Leiris et Gaëtan Picon.


Source image : la-croix.com 

mercredi 25 mars 2020

Un printemps cruel

                                     Le vent d’hiver souffle en avril…
                                               Christophe, Les Mots bleus


Autour de moi c’est l’hécatombe
Le printemps est cruel redistribue les cartes
Des pertes des peines et des séparations
Des mensonges pour escortes
Et des mots des malheurs
Dont on prend l’habitude

Est-ce l’âge
La sagesse qu’on lui prête
Serais-je plus attentif
Au désir qui se lit
Dans les yeux
D’une consolation…

Ce printemps est cruel

Et seuls les cerisiers en fleurs
Témoignent pour la saison…

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Le texte appartient au recueil autoédité Les heures captives (décembre 2012). L’année dernière, j’ai découvert, non sans émotion, un court poème d’Anna Akhmatova, Neige de mai :

« Une nappe transparente s’étend
Sur le gazon frais ; elle fond sans qu’on le voie.
Un printemps cruel, glacial,
Tue les bourgeons qui se gonflaient.
Si horrible est cette mort qui vient trop tôt
Que je ne peux plus voir le monde du bon Dieu.
J’éprouve la douleur que le roi David
D’un geste royal a donnée aux siècles. »


                                                                            Frédéric Perrot, mars 2020

mardi 24 mars 2020

Derrière les volets clos


J’ai fermé les volets. La pénombre m’est profitable. J’aimerais fermer les yeux aussi. Mais une pensée me tracasse et me tracasse d’autant plus que je ne parviens pas à me la formuler clairement, à la saisir en tant que pensée. Cela est irritant, comme une douleur indistincte et pourtant existante.

J’ai eu raison de fermer les volets. Le soleil isole et il meurtrit les yeux. De toute façon, dans ma rue, il n’y a rien à voir, et passer sa journée à la fenêtre, pour épier ses contemporains, c’est un peu une habitude de vieillard. Il faut se méfier des habitudes qui ont plus que notre âge…

Oh comme j’aimerais fermer les yeux une bonne fois… Mais il y a cette pensée informulée qui me tracasse et que je ne peux faire cesser, pas plus qu’on ne décide de faire cesser une douleur… Il me semble que si je parvenais à la saisir, à l’enfermer dans quelques mots qui la rendraient objective, je pourrais considérer plus sereinement certains aspects de mon existence.

Mais cela aussi sans doute n’est qu’une illusion…

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            Le texte a été écrit à l’été 2015 à Marseille, puis revu pendant l’été 2017 à Schiltigheim. Traitant de l’obsession – une obsession sans objet – il prend peut-être un autre sens en mars 2020.

Frédéric Perrot

dimanche 22 mars 2020

Pardon (poème d'Ana Hyde avec un dessin d'Eric Doussin)

Eric Doussin


j’ai tellement honte
d’aller si mal
tout me démonte
j’ai pourtant l’intégrale

de l’argent suffisant un appartement
une vue sur soleil et sur mer
un peu lorsque s’écartent
les grues de ceux qui s’affairent

je suis seule mais j’ai tout
ce qui est en mon pouvoir
pendant que mon père dans son trou
attend quoi ? dans son mouroir

pendant que ma mère séparée
puisse-t-elle comprendre qu’on ne peut
comparer avec sa société passée
je ne sais pas bien quoi faire pour eux

j’ai tellement honte et pourtant
je respecte depuis le confinement
je me dis que ça peut durer cent ans
qui retrouvera-t-on vivants ?

les prisonniers et les vieux
les femmes battues leurs enfants
profitent-ils de mes cieux
de ce qu’il me reste d'horizon indécent

et puis tous ces gens qui travaillent
car ils ont compétences
avec ou sans l’attirail
eux ont une humanité d’avance

j’ai tellement honte d'aller si mal
que j'ai envie de sauter
de mon neuvième de mon état moral
celui qu’ils appellent « embourgeoisé »

pourtant je vous le jure
j’essaie de faire et comprendre
à quelle juste mesure ?
mais la folie entre sans attendre

dans mon coin de vie de pensée
à m’imaginer les dommages
collatéraux bien calculés
par une poli-éthique d’un autre âge...

vendredi 20 mars 2020

Ce qui restera de l'humanité... (Fantaisie)


« Lui à qui le destin avait imposé le rôle servile de bourreau des nations, se persuadait que ses actes avaient pour but le bien des peuples et qu’il pouvait régler le sort de millions d’hommes et d’autorité les combler de ses bienfaits ! » (Léon Tolstoï, La Guerre et la Paix, au sujet de Napoléon)


Yiakim Shilabar redoutait les questions qui lui seraient inévitablement posées par le Guide Suprême. La capture d’un engin spatial en provenance des confins de l’univers avait un moment agité l’opinion publique et suscité de légitimes inquiétudes ; et le Guide Suprême ne désirait rien tant que la fin de ces troubles et le plus vite possible…

Le pouvoir absolu du Guide Suprême, en dehors des services rendus par sa police, reposait en effet sur la conviction assez unanimement partagée qu’il n’existait pas dans la totalité de l’univers d’autres civilisations intelligentes que celle sur laquelle il régnait d’une main de fer ; et l’apparition de ce misérable engin, dont la technologie était des plus rudimentaires, semblait, pour reprendre l’expression d’un amuseur toléré par le pouvoir, « une piécette jetée contre un estimable édifice ».

Yiakim Shilabar avait présidé la commission scientifique qui pendant plus de trois mois s’était efforcée de comprendre et d’analyser les documents contenus dans la mémoire des machines de l’engin. Le problème était justement que l’on n’y comprenait rien ! Parmi tout un fatras de données techniques inutilisables ou obsolètes, il y avait un document graphique, un document sonore et un document écrit.  De l’avis de tous les scientifiques réunis, ces trois documents constituaient une sorte de message ou de testament… Enfin, n’en déplaise au Guide Suprême, ces documents paraissaient prouver qu’une civilisation intelligente existait ou plus vraisemblablement avait existé quelque part dans l’univers… Peut-être dix mille ou vingt mille ans auparavant ! L’engin n’était qu’une épave considérablement endommagée et qui avait dû dériver pendant des milliers d’années… Et ce n’était qu’un hasard si des vaisseaux patrouillant aux limites du Domaine l’avaient repéré…

Le document graphique et le document écrit ne présentaient guère d’intérêt. On pouvait légitiment penser que le document graphique cherchait à mettre en valeur un imposant monument funéraire ou religieux dont cette civilisation sans doute disparue semblait être fière comme de l’une de ses réalisations les plus remarquables. Mais cela était tout en lignes droites, sans souplesse et ne ressemblait à rien… Seules les dimensions en paraissaient prodigieuses, comparées à celles de ses constructeurs, qui étaient également représentés de la façon la plus naïve.

Yiakim Shilabar en tant que spécialiste des langages s’était particulièrement penché avec ses confrères sur le document écrit.  Après plusieurs semaines de travaux – malgré les décrypteurs dont on disposait, l’étrange alphabet en présence avait longtemps résisté – l’avis général était que l’on avait affaire à une chronique : bien des points demeuraient obscurs, mais c’était indubitablement le récit d’une guerre. Ce qui troublait Shilabar, à mesure que les décrypteurs proposaient une traduction instantanée, c’était qu’il restait impossible de déterminer si cette guerre avait été un événement historique ou une invention, ou encore, ce qui dépassait sa capacité de compréhension, un mélange un peu pervers des deux…  Quel pouvait être l’intérêt de cela ? Soit un événement s’est produit et l’on en fait un récit circonstancié, soit simplement on invente une histoire pour amuser par exemple les enfants ou les esprits faibles… Mais là tout semblait mêlé : des événements historiques et des événements imaginaires, le concret et des réflexions aussi obscures qu’abstraites… Il était question dans un passage d’une population incendiant sa propre ville pour en chasser un envahisseur venu de l’étranger. La ville se nommait « Moscou » et l’envahisseur « Napoléon ». Selon les décrypteurs, ce dernier nom était un de ceux qui revenaient le plus fréquemment dans cette interminable chronique, dont on ne savait même pas par qui elle était faite, un soldat, un témoin… Shilabar jugeait inenvisageable de raconter une guerre, si on n’y avait pas participé… D’un mot, c’était une bouillie incompréhensible…

Mais ce qui terrorisait le plus profondément Shilabar au moment où il pénétrait dans le salon du Guide Suprême en tentant de se donner une contenance, c’était le document sonore, cette musique merveilleuse, qu’ils avaient écoutée sans y croire…
Pour des raisons qui lui échappaient et se perdaient sans doute dans le puits du Temps, le Guide Suprême détestait la musique, en avait interdit depuis des centaines d’années la pratique et l’étude… Shilabar croyait savoir, tout cela était épouvantablement ancien, que l’une des premières décisions prises lors de son accession au pouvoir avait été d’ordonner « le massacre des musiciens ». Depuis la musique simplement n’existait plus dans le Domaine, c’est-à-dire l’immensité de l’univers connu, sur lequel il régnait d’une main de fer…
Le document sonore passablement abîmé s’interrompait de manière décevante au bout d’une quarantaine de minutes et dans la mémoire des machines n’était accompagné que d’une indication lacunaire : « Mozart ». Shilabar n’avait aucune idée de ce que cela pouvait signifier et il avait trop peur de toute façon pour y réfléchir...
                       
                    Frédéric Perrot, mars 2020

mercredi 18 mars 2020

chanson pour ce chagrin doucement dévastateur... (Charles Bukowski)

Charles Bukowski



il faut s’élever
par-dessus toute cette merde,
continuer à grandir…
la destinée ne devient une putain que si on l’y
oblige.
laissons la lumière nous éclairer
souffrons en grande pompe –
le cure-dent aux lèvres, tout sourire.
on peut y arriver.
on est né fort et on mourra
fort.
la manière dont on traverse l’existence
comme des paquebots dans la brume…
des épines sur les roses…
des garçons blasés trottant dans les parcs en
         maillots de bain…
ça a été très
plaisant.
nos os
tels des tiges dressées vers le ciel
crieront victoire
jusqu’à la fin des temps.


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Ce poème écrit en 1971 appartient à Tempête pour les morts et les vivants, une anthologie de poèmes inédits parus dans d’obscurs magazines, conservés dans des bibliothèques et collections privées.

Charles Bukowski, Tempête pour les morts et les vivants
Traduit de l’anglais par Romain Monnery.
Editions Au diable vauvert, 2019, pour la traduction française.

mardi 17 mars 2020

Nous ne sommes pas en guerre

                                        La force des imbéciles, c’est leur nombre.


          Nous ne sommes pas en guerre malgré les apparences.

Parfois et même souvent, on voudrait nous le faire croire, on nous l’assène, c’est un discours dominant, presque une prémonition, c’est dans l’air ; et c’est sans doute pour cette raison qu’il règne par ici une telle puanteur…

Les légitimes motifs d’inquiétude sont d’ailleurs « nombreux et variés ». Un ministre se déplace très irrité et dit qu’il juge cela inacceptable. Dans un même geste, il désigne à la vindicte quelque population choisie selon des critères rigoureux : en général des faibles, des pauvres ou les deux. Pauvreté n’est pas vice, mais si la pauvreté a la couleur de l’étranger, du débarqué de la veille, c’est encore mieux : le public est conquis. Salves d’applaudissements pour le ministre très irrité déjà parti creuser d’autres tranchées !

Nous ne sommes pas en guerre non plus contre tous ceux qui pour des motifs obscurs vivent au-delà de nos frontières, parfois même sur d’autres continents qui vus à la télévision semblent un peu exotiques, voire rudimentaires.

       « Ce que ces gens peuvent être sales ! Ils parlent un baragouin que personne ne comprend et certains d’entre eux semblent sincèrement nous détester ! »

Ici un journaliste dirait sans doute fort à propos que « l’inquiétude grandit dans les chaumières ». Et l’on se demande très étonné où il a pu en voir ces jours-ci ! Des chaumières ! Ne pourraient-ils pas moderniser leurs fiches de temps à autre et avoir une vision un peu moins pastorale de ceux à qui ils prétendent s’adresser ?!

        Passons sur les journalistes. Nous ne sommes pas en guerre avec eux non plus.

Car nous ne sommes pas en guerre malgré les apparences et malgré les jeteurs d’huile sur le feu. Fort empressés. Toujours prompts…

Nous ne sommes pas en guerre contre les zouaves d’ici et d’ailleurs…

Oh ! il paraîtrait même qu’entre « toi et moi » la hache a pendant la nuit été enterrée : c’est dire si nous ne sommes pas en guerre !


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Ce texte écrit en 2009 n’a évidemment rien à voir avec la situation actuelle. Il s’agissait à l’époque de se moquer en particulier de Brice Hortefeux et de son ministère au nom ignoble. Inspiré de Bashung pour l’humour un peu potache, réponse légère à une chanson de Leonard Cohen – There is a war –, le texte était dans mon esprit plus une blague agacée qu’autre chose…
Il n’en demeure pas moins qu’un président qui recourt sans vergogne à la rhétorique guerrière doit être, à mon humble avis, considéré avec un certain scepticisme…

Le texte appartient au recueil autoédité Les heures captives (décembre 2012). Frédéric Perrot.

Je suis un homme malade... Je suis un homme méchant. (Notes d'un souterrain)




Je suis un homme malade… Je suis un homme méchant. Un homme plutôt repoussant. Je crois que j’ai le foie malade. Soit dit en passant, je ne comprends rien de rien à ma maladie et je ne sais pas au juste ce qui me fait mal. Quoique respectant la médecine et les médecins, je ne me soigne pas et ne me suis jamais soigné. Ajoutez à cela que je suis superstitieux à l’extrême ; enfin, assez pour respecter la médecine. (Je suis suffisamment instruit pour ne pas être superstitieux, mais je le suis quand même.) Eh, non ! c’est par méchanceté que je refuse de me soigner. Et ça, je suis sûr que vous ne me faites pas l’honneur de le comprendre. Eh bien, moi, je le comprends. Bien entendu, je ne saurais vous expliquer à qui, en l’occurrence, ma méchanceté réserve sa volée de bois vert ; je sais parfaitement et très bien que les docteurs, ça ne les « embêtera » en aucune façon que j’y aille ou pas ; je sais mieux que personne qu’avec tout ça, je ne peux me faire tort qu’à moi-même et à personne d’autre. Mais n’empêche, si je ne me soigne pas, c’est par méchanceté. Tu as mal au foie ? Grand bien te fasse, aies-y encore un peu plus mal !
Cela fait déjà longtemps que je vis comme ça – quelque chose comme vingt ans. J’en ai quarante, à présent. Avant, j’étais fonctionnaire ; je ne le suis plus. J’étais un fonctionnaire méchant. J’étais grossier et j’y prenais plaisir.

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Fédor Dostoïevski, Notes d’un souterrain
Traduction et notes de Lily Denis.
Introduction de Tzvetan Todorov.

Editions GF – Flammarion, 1992.  

vendredi 13 mars 2020

On était deux, c'était bien... (dessin de Jimmy Poussière)




Le Bas-Rhin a fait mieux que le gouvernement, en interdisant ce jour les rassemblements de plus de 50 personnes sur Strasbourg et sa périphérie. Frédéric Perrot.

mardi 10 mars 2020

Dormir cent ans...


    Dormir cent ans… et telle la belle qu’un simple baiser éveille, ouvrir les yeux sans brusquerie, bercé par de douces visions, des couleurs liquides, arc-en-ciel que laisse fuir un jet d’eau.
     Dormir cent ans… et le corps comme soulagé de son poids de douleurs, un instant encore se souvenir des innombrables rêves de ce siècle disparu, des larmes versées, par les heures dissipées.
     Dormir cent ans… et telle la belle qu’un simple baiser éveille, se lever, épousseter d’un geste souple sa robe de soie blanche, éprouver un léger vertige à se sentir debout et lentement, aller à la fenêtre.
     Dormir cent ans… et l’esprit clair, reposé comme seul peut l’être un enfant, écarter le rideau, de l’immense vitre souffler la poussière, pour embrasser du regard quelque nouvel enfer né de la folie des hommes.


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Plus que du conte, La Belle au bois dormant, le texte est un souvenir d’une vision précise en Hollande : cet « arc-en-ciel que laisse fuir un jet d’eau »…
Il n’est pas impossible non plus que je me sois souvenu de la chanson du Velvet Underground, Venus in furs : « I am tired, I am weary/I could sleep for a thousand years/A thousand dreams that would awake me/Different colors made of tears ».

Le texte appartient au recueil autoédité Les heures captives (décembre 2012).

                                                                  Frédéric Perrot

dimanche 1 mars 2020

Au temps de l'innocence (publié dans le numéro 46 de la revue Lichen, mars 2020)


Qu’ils sont doux
Les premiers baisers volés

On s’écarte du chemin
Lors de la promenade

On s’aventure entre les arbres
On s’arrête on se regarde

On est un peu gêné
Les silences sont longs

Mais depuis la nuit des temps
Les gestes suppléent les mots 

Et timide miracle
Les mains se saisissent

Les têtes se penchent
Les lèvres s’approchent

Comme ils sont malhabiles
Et tremblent d’être vus

Et comme cela est bon
Et fait battre leur cœur !

Qu’ils sont doux
Les premiers baisers sauvages

Et comme ils les regretteront
Quand plus tard avec l’âge

Ces jeux auront perdu
Leur charme leur nouveauté





Pour aller lire la revue Lichen  :
https://lichen-poesie.blogspot.com