samedi 30 décembre 2023
dimanche 24 décembre 2023
Descends de ton tréteau, mauvais acteur
Descends de ton tréteau, mauvais
acteur :
Le sérieux est un masque funéraire
Qui ne convient guère à ton caractère.
Nous sommes las des vains cris de la
colère,
Épargne-nous de grâce tes postillons,
Abandonne ce masque d’imposteur.
Cesse d’être grimacier et
retrouve
Ta vraie voix, un ton
juste, ton silence,
Ton secret, qui n’a rien
de douloureux :
Rester confidentiel n’est
pas honteux,
Et ce n’est que dans les
marges du temps,
Quand nous sommes sans
public, isolés,
Que nous pouvons espérer
prononcer
Un premier mot qui ne
serait pas faux.
N’aie pas peur, sois confiant,
éveillé :
Ta vraie voix, tes couleurs, ta
musique…
Le
poème est extrait de mon nouveau recueil, Dans les marges du temps. Frédéric
Perrot
mercredi 20 décembre 2023
Charles Baudelaire, L'invitation au voyage
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas
vivre ensemble !
Aimer à loisir
Aimer et mourir
Au pays qui
te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon
esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers
leurs larmes.
Là, tout n’est
qu’ordre et beauté,
Luxe, calme
et volupté.
Des meubles
luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient
notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs
de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur
orientale,
Tout y parlerait
À l’âme
en secret
Sa douce
langue natale.
Là, tout n’est
qu’ordre et beauté,
Luxe, calme
et volupté.
Vois sur
ces canaux
Dormir
ces vaisseaux
Dont l’humeur
est vagabonde ;
C’est
pour assouvir
Ton
moindre désir
Qu’ils viennent
du bout du monde.
– Les
soleils couchants
Revêtent
les champs
Les canaux,
la ville entière,
D’hyacinthe
et d’or ;
Le monde
s’endort
Dans une chaude
lumière.
Là, tout n’est
qu’ordre et beauté,
Luxe, calme
et volupté.
samedi 16 décembre 2023
Le rêve du vagabond (pour Elise)
Gustave Courbet, L'Homme blessé, 1844 |
Il
marche depuis de longues heures… Il a le ventre vide, ses chaussures lui font
mal, il grelotte dans le crépuscule… Il est épuisé, il titube et dans un ultime
effort, il s’écroule parmi les feuilles, à la lisière d’un bois.
Dans
son rêve, il court à la rencontre de femmes voluptueuses comme il n’en existe
pas et qui, en un instant, comme les tables couvertes d’assiettes alléchantes,
se dissipent, fantômes, fumée… Le laissant seul, désemparé, dans un paysage
désolé que survolent d’ignobles créatures… Ce sont des charognards prêts à
fondre et le terrain est abrupt, accidenté : il court, il trébuche, il
manque de tomber dans une crevasse, d’où surgissent dans un violent désordre quelques-unes
de ces créatures fermement décidées à défendre leur nid… Il recule, il est
acculé à une paroi, une de ces créatures le harcèle à grands coups de bec, il
sent son regard plonger dans l’abîme…
Le
malheureux dormeur gémit dans son sommeil et prononce quelques mots
inintelligibles… Oh puissent ses rêves ne pas l’entraîner trop loin…
Puisse-t-il se réveiller…
Frédéric
Perrot
mercredi 13 décembre 2023
Stéphane Mallarmé, Angoisse (pour Alex)
Edouard Manet, Stéphane Mallarmé, 1876 |
Je ne viens pas ce soir
vaincre ton corps, ô bête
En qui vont les péchés d’un
peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs
une triste tempête
Sous l’incurable ennui
que verse mon baiser :
Je demande à ton lit le
lourd sommeil sans songes
Planant sous les rideaux
inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après
tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en
sais plus que les morts :
Car le Vice, rongeant ma
native noblesse,
M’a comme toi marqué de
sa stérilité,
Mais tandis que ton sein
de pierre est habité
Par un cœur que la dent d’aucun
crime ne blesse,
Je fuis, pâle, défait,
hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir
lorsque je couche seul.
vendredi 8 décembre 2023
jeudi 7 décembre 2023
Martine Colledani, Les sirènes de la poésie
Les sirènes de la poésie se sont tues
Apocalypse now
Rois reines et manants se baladent
leurs têtes sous le bras
Ils ne peuvent plus parler
On a jeté leurs langues
dans le cul de basse-fosse
avec les autres fous
qui l’avaient bien pendue
et se disaient poètes
disaient ce qu’ils voulaient
qu’ils allumaient le ciel
et dansaient sur les eaux
Ils encensaient le Beau
Ils érigeaient fort haut
les murs de la pensée
Et vive la liberté
Tous leurs mots sont noyés
Il ne reste plus d’eux
qu’une mince carapace
mortifère et terrible
Que peut-on dire encore
Tu as vu c’est la guerre tu as vu c’est la
fin
la fin du dire détrôné par le faire
par le Fer et le Feu
Tout ça n’a pas de mots
Pas un seul
………………
Un
des poèmes lus par Martine lors de la belle soirée des Mercredis de la poésie le
6 décembre 2023.
Les
Mercredis de la poésie, organisés par Pierre Louis Aouston
Avec
Martine Colledani et Sylvia Undata
Sa solitude ombrageuse (pour Olivier)
Sa solitude ombrageuse
Vomit sa bile au saut du lit
Façon de parler, il s’en extrait
Avec difficulté
Sa solitude ombrageuse, dis-je,
En dépit du vertige
Voue aux gémonies
Toute idée d’harmonie
Mal, mal, mal, douleur
Encore un charmant quart d’heure
Avant d’être prêt
Pour son reflet
Pas beau à voir
Dans le miroir…
Sa solitude ombrageuse
Se tord morne dédaigneuse
Triomphe d’un instant
Tiens, je suis vivant
Et ça m’est égal –
Déjeuner frugal
Café, clopes
Un air de pop
Un rien suffit
Pour distraire son esprit
Mal, mal, mal, douleur
Mais déjà il est l’heure
De se mettre en mouvement
Et de faire semblant
Sinistre épouvantail
Tout à fait prêt pour le travail !
Frédéric
Perrot
mercredi 6 décembre 2023
Dostoïevski, Humiliés et offensés (pour Guillaume)
Quatrième de couverture
Ce
premier grand texte (1861) de Dostoïevski, alors âgé de quarante ans, écrit à
son retour de Sibérie, est un roman d’aventures sentimental et social. La société
de Saint-Pétersbourg y est décrite comme par Balzac. Le romanesque est
fortement ancré dans la vie de l’écrivain, qui se fond dans la vie de de
Saint-Pétersbourg telle qu’il la connaît. Il y explore la misère humaine avec
une curiosité passionnée doublée de révolte. Cette ville flottante, brumeuse,
est vue par un personnage de rêveur, image de l’auteur. Par-delà, la vision du
monde de Dostoïevski est déjà présente : l’humanité courant à sa perte.
Dostoïevski,
Humiliés et offensés
Traduction
et édition de Françoise Flamant
mardi 5 décembre 2023
Le vin perdu (un poème de Paul Valéry)
J’ai, quelque jour, dans l’Océan,
(Mais je ne sais plus sous quels cieux),
Jeté, comme offrande au néant,
Tout un peu de vin précieux…
Qui voulut ta perte, ô liqueur ?
J’obéis peut-être au devin ?
Peut-être au souci de mon cœur,
Songeant au sang, versant le vin ?
Sa transparence accoutumée
Après une rose fumée
Reprit aussi pure la mer…
Perdu ce vin, ivres les ondes !...
J’ai vu bondir dans l’air amer
Les figures les plus profondes…
lundi 4 décembre 2023
Pierre Louis Aouston, L'effritement (un extrait)
La
pluie est figée
Ce
mardi matin est un jour vraiment pluvieux, un vrai jour ennuyeux, ceux que j’aimerais
effacer, comme un enfant qui colorie le calendrier avec des crayons de couleurs je me vois, griffonner, crotter avec des couleurs arc-en-ciel, jaune citron,
bleu ciel limpide, vert comme les épines de sapin, les feuilles du mois du mai
du calendrier, jusqu’à les froisser, les déchirer dans une frénésie infantile,
concentré sur mes crayons de couleurs tout neufs, un vrai plaisir et faire de
ces jours gris, si humides avec cette pluie bâtarde, ni forte ni faible, juste
là pour vous obliger à arrondir les épaules, les faire disparaître à jamais.
Ces jours, je ne les aime pas au point que je voudrais oublier ces jours et ces
matins, les faire disparaître de ma vie, oui je sais, chaque jour, chaque
seconde est précieuse, le décompte ne doit pas être négligé, oui, je le sais,
mais ces jours-là me sont souvent infernaux, mon esprit doit combattre chaque
seconde de ces jours sans lumière, où le fade a envahi tout, les murs, les
rues, l’air, et même les pensées. Je vais sortir, sortir et marcher, ce temps
ne m’empêchera pas de partir en vadrouille dans les rues, je serai muni de mon
parapluie, j’arriverai bien à combattre les éléments avec mon outil personnel,
ce beau parapluie que je possède depuis bien longtemps, je ne l’ai jamais
oublié dans une brasserie, une petite fierté, un vrai combat sur moi-même,
quand je pense à tous les objets personnels que j’ai perdus, je dirai, une
vingtaine de paire de lunettes, avec des œuvres d’art dans le domaine des
lunettes, des pièces rarissimes. Au milieu de mes pas, pas vraiment sûr de mes
enjambées, la pluie qui a couvert la chaussée attire la glissade, la bascule
dans un parterre qui vous détruit en une fraction de seconde votre plus bel
imperméable, n’est pas très loin. Si votre attention est perturbée par un événement
inhabituel, je vous parle comme un vieux, mais vous le savez, ces choses-là, elles
arrivent à tout le monde, et même dans la vigueur des corps jeunes n’est-ce pas ?
Je marche le parapluie bien installé sur mon épaule gauche, la position qui
assure une efficacité complète pour éviter un maximum de gouttes. Je marche
dans la rue, sur la planète Terre, c’est une partie de territoire si petite,
celle où je me trouve hélas ! Est bien noire, si noire, la lumière a fui,
sa discrétion si lâche la rend éteinte avec ce bleu gris sale… Je marche les
muscles légèrement contractés par le temps mais l’humidité me laisse une
ouverture, elle ne peut pas la prendre celle-là, la pluie est figée, son geste de m’agripper
pour mieux m’orienter vers elle, me posséder, est stoppé, comme si sa main ne
pouvait pas me toucher, bloquée par mon corps. L’afflux de mes pensées, elles
ne se bousculaient pas, elles s’affirmaient dans leurs importances, les unes
après les autres. Je marchais, une belle pensée se rappelait à moi…
Le
texte est extrait du premier roman du poète Pierre Louis Aouston, L’effritement,
publié aux Editions De Bonne Heure. Le livre est disponible à la librairie Kléber
de Strasbourg.