jeudi 28 janvier 2021
mercredi 27 janvier 2021
mardi 26 janvier 2021
Le test d'humanité (extrait lu lors de l'Octogone des poètes)
Examen
de minuit – « Aujourd’hui, tu as encore raté quelques occasions d’être
humain… »
Ou
– « Tu as passé un test d’humanité et une nouvelle fois il s’est révélé
négatif. »
« Je
manque d’humanité » À peine a-t-il prononcé ces mots, dans l’intimité de
sa conscience, qu’il se retrouve dans une salle des pas-perdus, où tout est
mouvement et solitude soucieuse.
Tu
n’aimes pas l’idée de combat, le mot même te déplaît, mais tu es bel et bien
engagé dans un combat, où il s’agit pour toi de défendre ce qui t’appartient
peut-être en propre, ce substrat d’indépendance, ce refus d’être étiqueté.
L’éloignement
– « Me voyant parmi vous, vous me croyez encore avec vous. Vous n’avez
rien remarqué, mais je vous quitte. Imperceptiblement je glisse hors de vos
sphères d’influence : vos soucis me deviennent étrangers et vos propos ne
m’atteignent plus. Pour des raisons purement esthétiques, je refuse l’uniforme
que vous voulez me voir porter. Je n’aime pas les rues et les villes que vous
présentez à mon esprit, je n’aime pas votre appréhension des choses et votre
regard sur elles, car c’est un regard de taupe ; à cette différence près
que la taupe n’y est pour rien, si je puis dire : sa cécité est native. »
Ou
– « Ce n’est pas un drame que nous soyons tous des consciences séparées,
ainsi du moins n’avez-vous pas accès à mon univers personnel. Certes, il est
minuscule, voire infime, mais j’y tiens d’autant plus et je me battrai jusqu’au
bout pour le préserver de vos regards louches et de vos froides analyses. »
Un
visiteur d’un autre monde, débarquant à n’importe quel endroit de notre
planète, serait sans doute interloqué.
« Mais comment parvenez-vous à respirer dans un tel climat de
haine ? »
Tu
n’aimes pas l’idée de combat, le mot même te déplait, mais tu l’emploies… Tu te
refuses à employer le mot lutte, dont « l’extension » à tous les
domaines de la vie te paraît bien regrettable.
Contre
la psychologie et ses excès – « Pardonnez-moi si je garde mes distances,
mais je suis allergique à vos
explications d’ordre psychologique.»
Frédéric
Perrot
lundi 25 janvier 2021
Maurice Blanchot, L'écriture du désastre (fragments)
♦ Jamais déçu, non par
faute de déception, mais la déception étant toujours insuffisante.
♦ Il n’est pas exclu,
mais comme quelqu’un qui n’entrerait plus nulle part.
♦ Celui qui critique ou
repousse le jeu, est déjà entré dans le jeu.
♦ Comment peut-on
prétendre : « Ce que tu ne sais en aucune manière, en aucune manière
ne saurait te tourmenter ? » Je ne suis pas le centre de ce que
j’ignore, et le tourment a son savoir propre qui recouvre mon ignorance.
♦ Que les mots cessent
d’être des armes, des moyens d’action, des possibilités de salut. S’en remettre
au désarroi.
Quand écrire, ne pas écrire, c’est sans
importance, alors l’écriture change – qu’elle ait lieu ou non ; c’est
l’écriture du désastre.
♦ Ne nous confions pas à
l’échec, ce serait avoir la nostalgie de la réussite.
♦ Détaché de tout, y
compris de son détachement.
♦ La mort de
l’Autre : une double mort, car l’Autre est déjà la mort et pèse sur moi
comme l’obsession de la mort.
♦ Quand tout s’est
obscurci, règne l’éclairement sans lumière qu’annoncent certaines paroles.
♦ La souffrance souffre
d’être innocente – ainsi elle cherche à devenir coupable pour s’alléger. Mais
la passivité en elle se dérobe à toute faute : passif hors faillite,
souffrance sauve de la pensée du salut.
♦ Dans son rêve, rien,
rien que le désir de rêver.
♦ Le dessein de la
loi : que les prisonniers construisent eux-mêmes leur prison. C’est le
moment du concept, la marque du système.
♦ Si, parmi tous les
mots, il y a un mot inauthentique, c’est bien le mot « authentique ».
♦ Si tu écoutes
« l’époque », tu apprendras qu’elle te dit à voix basse, non pas de
parler en son nom, mais de te taire en son nom.
♦
Sans la prison, nous saurions que nous sommes tous déjà en prison.
♦ Peut-on dire :
l’horreur domine à Auschwitz, le non-sens au Goulag ? L’horreur, parce que
l’extermination sous toutes ses formes est l’horizon immédiat, morts-vivants,
parias, musulmans : telle est la vérité de la vie. Cependant, un certain
nombre résistent ; le mot politique garde un sens ; il faut survivre
pour témoigner, peut-être pour vaincre. Au Goulag, jusqu’à la mort de Staline
et à l’exception des opposants politiques dont les mémorialistes parlent peu,
trop peu – (sauf Joseph Berger), il n’y a pas de politiques : nul ne sait
pourquoi il est là ; résister n’a pas de sens, sauf pour soi-même ou
l’amitié, ce qui est rare ; seuls les religieux ont des convictions fermes
capables de donner signification à la vie, à la mort ; la résistance sera
donc spirituelle. Il faut attendre les révoltes venues des profondeurs, puis
les dissidents, les écrits clandestins, pour que les perspectives s’ouvrent,
pour que, des décombres, les paroles ruinées se fassent entendre, traversent le
silence.
Assurément, le non-sens est à Auschwitz,
l’horreur au Goulag. L’insensé en sa dérision est représenté (peut-être) le
mieux par le fils du Lagerführer Schwarzhuber : à dix ans, il venait
parfois chercher son père au camp ; un jour, on ne le retrouva pas ;
aussitôt, son père pensa : il a été ramassé par mégarde et jeté avec les
autres à la chambre à gaz ; mais l’enfant s’était seulement caché et,
désormais, on lui mit au cou une pancarte pour l’identifier. Un autre signe est
l’évanouissement de Himmler assistant à des exécutions de masse. Et la
conséquence : comme il craignait de s’être montré faible, il donna l’ordre
de les multiplier, et on inventa les chambres à gaz, la mort humanisée
au-dehors, au-dedans l’horreur à son point extrême. Ou encore, parfois on
organise des concerts ; la puissance de la musique, par instants, semble
apporter l’oubli et dangereusement fait disparaître la distance entre victimes
et bourreaux. Mais, ajoute Langbein, pour les parias, ni sport, ni cinéma, ni
musique. Il y a une limite où l’exercice d’un art, quel qu’il soit, devient une
insulte au malheur. Ne l’oublions pas.
♦ Nietzsche contre le
surhomme : « Nous sommes définitivement éphémères. »
« L’humanité ne peut accéder à un ordre supérieur. »
Considérons « l’urne funéraire du dernier homme ». Ce refus d’un
homme au-delà de l’homme (dans L’Aurore) va de pair avec tout ce que
Nietzsche dit contre le danger qu’il y aurait à se confier à l’ivresse et à
l’extase comme à la vraie vie dans la vie : de même, son dégoût pour
« les forcenés divagants, les extatiques qui recherchent des
états de ravissement d’où ils tombent dans la détresse de l’esprit de vengeance ».
L’ivresse a le tort de nous donner un sentiment de puissance.
♦ « Les
optimistes écrivent mal. » (Valéry.) Mais les pessimistes n’écrivent
pas.
♦ Garder le
silence, c’est ce que à notre insu nous voulons tous, écrivant.
Présentant
tour à tour de courts « éclats » et des fragments longs parfois
de plusieurs pages, L’écriture du désastre peut selon Christophe Bident,
être considéré comme le « dernier » livre de Maurice Blanchot.
L’écriture
du désastre a été publié en 1980 aux éditions
Gallimard.
Christophe Bident, Maurice Blanchot Partenaire invisible, Editions Champ Vallon, 1998.
vendredi 22 janvier 2021
mercredi 20 janvier 2021
jeudi 14 janvier 2021
Les nuits blanches (Julien Gracq, extrait de Liberté grande)
Julien Gracq, en 1951 |
Comme
la figure de proue d’un vaisseau à trois ponts fourvoyé dans ce port de
galères, au-dessus de la Méditerranée plate dont le blanc des vagues semble
toujours fatigué d’un excès de sel se levait pour moi derrière une correcte,
une impeccable rangée de verres à alcools, le visage de cette femme violente. Derrière,
c’était les grands pins mélancoliques, de ceux dont l’orientation des branches
ne laisse guère filtrer que les rayons horizontaux du soleil à cette heure du
couchant où les routes sont belles, pures, livrées à la chanson des fontaines.
On entendait dans le fond du port des marteaux sur les coques, infinis,
inlassables comme une chanson de toile au-dessus d’un bâti naïf de tapisserie balayé de deux tresses blondes, circonvenu d’un lacis incessant de soucis
domestiques, avec au milieu ces deux yeux doux, fatigués sous les boucles, la
sœur même des fontaines intarissables. On ne se fatiguait pas de boire, un
liquide clair comme une vitre, un alcool chantant et matinal. Mais c’était à la
fin un alanguissement de bon aloi, et tout à coup comme si l’on avait dépassé
l’heure permise – surpris le port sous cette lumière défendue où
descendent à l’improviste pour un coup de main les beaux pirates des nuits
septentrionales, les lavandières bretonnes à la faveur d’un rideau de brumes –
c’était tout à coup le murmure des peupliers et la morsure du froid humide –
puis le claquement d’une portière et c’était la sortie des théâtres dans le
Petrograd des nuits blanches, un arroi de fourrures inimaginable, l’opacité
laiteuse et dure de la Baltique – dans une aube salie de crachements rudes,
prolongée des lustres irréels, la rue qui déverse une troïka sur les falaises
du large, un morne infini de houles grises comme une fin du monde – c’était
déjà l’heure d’aller aux Iles.
Liberté
grande est un ensemble de poèmes en prose écrits dans le
sillage conscient des Illuminations de Rimbaud citées en épigraphe et
du surréalisme.
Source image :
franceculture.fr
mercredi 13 janvier 2021
Bienvenue au parc d'attraction psychique d'Hypérion !
Hypérion
est une planète sauvage et peu accueillante. C’est pourtant, à sa surface
malencontreuse, qu’a été construit le plus important parc d’attraction
psychique de la galaxie. Les travaux pharaoniques ont occupé pendant plus de
trente ans quelques quarante millions hommes. Peu ont survécu. L’atmosphère
d’Hypérion est un assez répugnant mélange d’éléments toxiques, hautement létal
pour tout homme non-augmenté et ne disposant pas de poumons hybrides. Pour de
strictes raisons humanitaires, il aurait sans doute fallu équiper ces
millions d’hommes avant de les mettre au travail, mais outre que cela aurait
considérablement alourdi le budget déjà colossal, on ne s’en
souciait guère. C’étaient pour la plupart des bagnards extraits des
colonies pénitentiaires dont on se débarrassait à bon compte en les tuant à
terme à la tâche : « C’est la seule ombre au tableau d’une superbe
réussite », comme l’a reconnu dans une formule un peu maladroite le
richissime architecte Hans Castorp lors de l’inauguration en grandes pompes du
parc d’attraction. Cet insignifiant détail oublié, Castorp peut se
réjouir : depuis plus de dix ans, le succès ne s’est pas démenti et le
parc accueille chaque année environ un milliard de visiteurs venus des quatre
coins de la galaxie. Les tarifs de la moindre attraction sont exorbitants et la
clientèle se trouve donc comme il se doit triée sur le volet : ce ne sont
que vedettes de la chanson interstellaire, marchands d’armes, hommes
d’affaires, industriels vieillissants accompagnés de leurs petits-enfants…
Je
ne sais pas en quoi consistent exactement ces fameuses attractions psychiques
qui font courir toute la galaxie, à en croire les hologrammes
publicitaires qui se déclenchent à toute heure du jour et de la nuit et ce
jusque dans ma cellule médicale. Chaque visiteur doit signer une rigoureuse
clause de confidentialité et s’engager à ne jamais évoquer d’une manière ou
d’une autre ce qu’il a réellement vécu dans l’enceinte du parc. On
comprendra qu’un secret si jalousement gardé ait donné lieu au fil des années
aux conjectures et rumeurs les plus folles. Je les crois pour la plupart
infondées ou sans intérêt… Ce ne sont après tout que de riches oisifs, des
parasites de toutes sortes qui viennent selon l’expression consacrée, se
taper un bon trip psychique… Peu m’importe… Je suis un vieillard à présent
et l’un des derniers survivants du plus formidable chantier jamais lancé par
l’homme…
Frédéric Perrot
dimanche 10 janvier 2021
mercredi 6 janvier 2021
La solitude des professeurs (trois mois après la décapitation de Samuel Paty... Charlie Hebdo)
samedi 2 janvier 2021
Recul stratégique
Un peu comme aux
échecs, j’opère un recul stratégique. Il s’agit de me protéger, de sortir des
espaces où je suis sans défense, des zones empoisonnées où je suis vulnérable,
exposé à tous les coups, qui sont permis ! Car il n’y a pas de règles, les
règles s’écrivent au fur et à mesure et l’on peut y déroger à la première
occasion, quitte à renverser le jeu avec un mouvement d’impatience.
Je ne serai pas
mauvais perdant, mauvais joueur, j’accepterai d’être défait.
L’existence en
tout cas n’a rien d’une partie d’échecs, l’image est fausse, erronée : une
partie d’échecs est logique et le hasard n’y tient qu’une place infime,
l’existence est souvent illogique et très hasardeuse… Dans ces conditions, vous
comprendrez certainement que j’opère un recul stratégique : il s’agit pour
moi de me protéger, de sortir du cercle où tout me blesse, où je suis vulnérable…
Le texte a été écrit en mai 2014. Frédéric Perrot.