mardi 1 décembre 2020

Un cœur sensible (accompagné d'un dessin de Vittorio Papermade)


 

Un cœur sensible, cela ne veut rien dire : le cœur est un organe. Pour toi c’est toujours la médiocrité querelleuse, la plèbe hargneuse ravie de son ignorance. Les clameurs, les cris ! Un cœur sensible est un cœur malade, qui sait vénérien ! Il faut sortir, prendre l’air, cesser de se morfondre à l’œil dans l’arrière-salle de quelque café. L’alcool d’ailleurs est mauvaise conseillère. Votre hygiène de vie vous est préjudiciable. Regardez-vous, vous êtes très pâle… Et opiner lâchement du front pour couper court, dire oui, oui vous avez raison. Et s’éloigner en serrant le poing, furieux d’avoir subi sans réagir la pesante leçon. Et le soir dans son lit y penser encore ! Ne pas réussir à dormir, tourner l’affront dans sa tête, ne pas réussir à l’oublier, l’orgueil piqué devenant un poison… Et glissant dans le sommeil, imaginer que l’on rejoue la scène et que l’on y a le beau rôle : on a cloué le bec au donneur de leçon, on l’a envoyé au diable, on lui a fait comprendre que l’on se passerait volontiers de sa conversation et on a fait mine de ne pas le voir. Triomphe obtenu sur l’oreiller et qui n’empêche pas la mauvaise humeur au réveil. Surtout si de tels épisodes se répètent périodiquement… Tant il est évident que le donneur de leçons n’est pas de ces espèces dont on peut craindre la disparition…

Ne t’attends qu’au sarcasme, si les larmes aux yeux te viennent. Les larmes ? Vous voulez dire ce liquide incolore, par les glandes sécrété ? Un moraliste français l’a bien dit, à vivre parmi les hommes le cœur doit se bronzer ou se briser ; et malheureusement pour toi, tu sais de quel côté penche la balance… Blessé, brisé, aspirer à l’impassibilité du marbre… Tandis qu’au dehors les clameurs, les cris, tout le fracas du monde…

Mais ne déplore donc pas du poème la disparition dans les sables de l’oubli – L’avenir s’en passera ! Et que ton règne vienne, millénaire : Biologie !

  

Le texte a été écrit au début des années 2000. Le moraliste français dont il est question est Nicolas de Chamfort (1741-1794) Voir la publication du 21 avril 2020, qui lui est consacrée. Frédéric Perrot.

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