130
Une
décision dangereuse. – La décision chrétienne de trouver le
monde laid et mauvais a rendu le monde laid et mauvais.
132
Contre
le christianisme. – Désormais, c’est notre goût qui condamne
le christianisme, non plus nos raisons.
142
Encens.
– Bouddha dit : « N’adule pas ton bienfaiteur ! » Qu’on répète cette sentence dans une église chrétienne :
– elle purifie instantanément l’air de
tout ce qu’il contient de chrétien.
147
Question
et réponse. – Qu’est-ce que les peuplades sauvages commencent
aujourd’hui par emprunter aux Européens ? L’eau de vie et le christianisme,
les narcotica européens. – Et qu’est-ce qui les fait périr le plus vite ?
– Les narcotica européens.
164
Les
chercheurs de repos. – Je reconnais les esprits qui cherchent
le repos aux nombreux objets obscurs qu’ils disposent autour d’eux : qui
veut dormir fait l’obscurité dans sa chambre ou rampe au fond d'une caverne. – Avertissement
pour ceux qui ne savent pas ce qu’ils cherchent le plus, et aimeraient le
savoir !
173
Être
profond et paraître profond. – Qui se sait profond s’efforce d’être clair ;
qui aimerait passer pour profond aux yeux de la foule s’efforce d’être obscur.
Car la foule tient pour profond tout ce dont elle ne peut voir le fond :
elle est si peureuse et si réticente à entrer dans l’eau.
179
Pensées.
– Les pensées sont les ombres de nos sensations – toujours plus sombres, plus
vides, plus simples que celles-ci.
182
Dans
la solitude. – Quand on vit seul, on ne parle pas
trop fort, on n’écrit pas trop fort non plus : car on craint la résonance
vide – la critique de la nymphe Echo. – Et toutes les voix sonnent différemment
dans la solitude !
189
Le
penseur. – C’est un penseur : cela signifie qu’il est
expert dans l’art de considérer les choses comme plus simples qu’elles ne sont.
218
Mon
antipathie. – Je n’aime pas les hommes qui pour faire de l’effet,
doivent exploser comme des bombes, et à proximité desquels on est toujours
exposé au danger de perdre brusquement l’ouïe – voire plus encore.
231
Les
« fondamentaux ». – Les traînards de la connaissance
pensent que la lenteur fait partie de la connaissance.
232
Rêver.
– On ne rêve pas du tout ou alors de manière intéressante. – Il faut apprendre
à être éveillé de la même manière : pas du tout, ou alors de manière
intéressante.
239
Le
triste. – Il suffit d’un unique homme triste pour répandre
une morosité permanente et un ciel chargé sur une famille entière ; et il
faut un miracle pour que cet unique individu n’existe pas ! – Le bonheur
est loin d’être une maladie aussi contagieuse, – d’où cela vient-il ?
241
Œuvre
et artiste. – Cet artiste est ambitieux et rien de plus :
son œuvre n’est en fin de compte qu’un verre grossissant qu’il offre à tout
homme regardant dans sa direction.
248
Livres.
– Qu’importe un livre qui ne sait même pas nous transporter au-delà de tous les
livres ?
264
Ce
que nous faisons. – Ce que nous faisons n’est jamais
compris, mais toujours simplement loué et blâmé.
266
Là
où la cruauté est nécessaire. – Qui a de la grandeur
est cruel envers ses vertus et ses réflexions de second ordre.
270
Que
dit ta conscience ? – « Tu dois devenir celui que tu
es. »
273
Qui
qualifies-tu de mauvais ? – Celui qui veut toujours
faire honte.
274
Qu’y
a-t-il pour toi de plus humain ? – Épargner
la honte à quelqu’un.
275
Quel
est le sceau de l’acquisition de la liberté ? – Ne
plus avoir honte de soi-même.
Nietzsche,
Le gai savoir
Présentation,
traduction inédite, notes, bibliographie et index par Patrick Wotling.
Flammarion,
1997