jeudi 20 décembre 2018

Des progrès dangereux

               « Eh bien ! Zorrino, il y a un dieu pour les amateurs de whisky… »
                                               Tintin, Le temple du soleil


Moi je ne me plains pas
J’ai ma bouteille de whisky bon marché
Un toit beaucoup n’en ont pas

Je pourrais faire mon poète
Et dire je déteste ce monde
Indigné par des affaires lointaines

Ce serait facile
Je  n’en souffre pas

D’ailleurs je ne souffre pas
C’est bien mon problème

J’accomplis seulement
Des progrès dangereux
Dans la voie de l’indifférence…


                        Frédéric Perrot





Décembre 2018 - Frédéric Perrot 

mardi 18 décembre 2018

l'abandon qu'ils ont créé pour toi (fragments choisis d'Alain M, décembre 2018)


Une actualité chasse l’autre
Un événement chasse l’autre
Une angoisse chasse l’autre
Une action chasse l’autre
Un sexe chasse l’autre
Un livre chasse l’autre
Une œuvre chasse l’autre
Un artiste chasse l’autre
Un humain chasse l'autre
Une machine chasse l’autre
Une civilisation chasse l’autre
Une vie ou une non-vie
Chasse l’autre

***

Tu es une mécanique détraquée qui depuis toujours parvient parfaitement à s’entretenir.

***

Écrasé par une force supérieure
Tu narrives plus à fonctionner seul

La fin de ta matière grise
Cest pour maintenant

Et tu n’as pas de plan B

***

Brutalisé par la vie
Tu ne veux pas
De cette solitude malsaine avec autrui

Vivre à l’écart des hommes
Etre ta prison permanente
C’est tout ce qu’il te reste comme dignité

***

Cette tête, si elle pouvait véritablement se concentrer sur quelque chose, le temps serait moins douloureux.

***

Ton bruit intérieur s’articule
La mort, tu y penses tous les jours

Tu n’as jamais pu revenir
De l’abandon qu’ils ont créé pour toi


***

Quand tu allais à la découverte avec lenvie
Et non pas la peur au ventre
Tu avais presque le droit
De vivre sans gêner

***

Quelle écriture pour
Qui rien mourir froid
L’ennui l'amertume le manque
Plus personne au compteur
Plus un seul poète vivant
Dans ton deux pièces cuisine



un poème d'Alain M.


Je vous lutte
De désespoir

On n'est plus passionné
Quand on a

Cent dix-sept ans
Dans sa tête

J’ai tué
Tous mes désirs

Remisé
Mon narcissisme
Aux oubliettes

Vous ne pensiez
Tout de même pas

Que j’allais
Vous attendre

samedi 15 décembre 2018

Edition spéciale

Schiltigheim


À l’heure où nous parlons
Nous sommes sans nouvelles
De la jeune Ophélie

Vaccin contre la mort découvert au Brésil 
Soutenue par le consortium pharmaceutique
L’Agence du médicament dément

La star electro-pop Hermaphrodite
Réclame dans une lettre ouverte au pape
De pouvoir épouser sa tortue empaillée

Soupçonné de violences sexuelles
Le prix Nobel de physique répond :
« Je n’ai aucun goût pour les femmes de couleur »

En bref conflit sino-indien
Malgré des signes d’assouplissement
Les négociations restent dans l’impasse

À l’heure où nous parlons
Nous sommes sans nouvelles
De la jeune Ophélie

Vaccin contre la mort découvert au Brésil...

                                                                                                           

                                                                                       décembre 2018 - Frédéric Perrot

jeudi 13 décembre 2018

Le voyageur qui ne part pas

Schiltigheim


Le voyageur qui ne part pas n’a que des bagages, de lourds bagages. Il les transporte partout, ne peut les déposer nulle part. Certains les nommeraient sans doute des souvenirs, des regrets, des remords. Lui, il sait qu’il transporte des cadavres.
Tous les cadavres de ceux qu’il a été et n’est plus. Etonnamment légers. Comme une plume. Tous les cadavres de ceux qu’il a aimés et perdus. Lourds, si lourds comme des légions de fantômes cuirassés. De sorte qu’entre ces deux poids contradictoires, il a un point de côté, se trouve déséquilibré et ne parvient qu’avec peine à avancer…

Le voyageur qui ne part pas est encore jeune pourtant. Ses cheveux ne sont pas tous tombés. Le voyageur qui ne part pas pourrait encore avoir des rêves, des projets –
Mais le désir l’a quitté, s’en est allé, pour disparaître on ne sait où… Et l’important, l’essentiel, lui, il le sait : il est mort à l’intérieur

Et dans ces conditions, que peut lui faire l’ailleurs ?


Ce texte écrit en 2009 appartient au recueil autoédité Les heures captives (décembre 2012) Frédéric Perrot

Le sillage des avirons (accompagné d'un dessin d'Eric Doussin)

"Tu es encore ici" - Eric Doussin


Vois ces injustes rameurs
Qui poursuivent leur effort
Pour remporter l’épreuve

Alors que surgissant
De la foule des spectateurs
Qui agitent drapeaux couleurs

Une femme se jette du pont

Entends le bruit ondulatoire
De son corps qui se fracasse sur l’eau
Dans le sillage des avirons

Et les cris de victoire
De ceux qui les premiers
Franchissent la ligne




          Le texte est extrait du recueil inédit La solitude imaginaire (octobre 2016)
          C'est ici une version corrigée. Frédéric Perrot 

jeudi 6 décembre 2018

Poème sans fin (avec un portrait par Eric Doussin)

Eric Doussin 


Cœur un peu farouche
Au dernier moment je reviendrai

Pour coucher sur le papier
Tes mouvements d’amour altiers

Je le confesse sans gêne
Tout le reste m’a toujours ennuyé

Vous me parlez de poésie
De vos problèmes de politique ?

J’opine de la tête pour vous plaire
Mais ne trouve ça guère érotique 

Et sans regret je tirerai un trait – 

La mort n’est rien
Un court spasme et puis s’en va

La fin du monde est proche
Depuis son commencement

« Les hommes sont-ils tout occupés
De créer leur enfer ? »

Ce n’est pas mon affaire

Cœur un peu farouche
Au dernier moment je reviendrai

Pour coucher sur le papier
Tes mouvements d’amour altiers

Et ce sera un poème sans fin



         Ce poème d'une certaine manière prolonge et contredit En mai, au printemps. 
         Voir publication du 30 juin 2018. Frédéric Perrot