Le puits des images
« La
vérité n’est pas toujours dans un puits.»
Edgar Allan Poe
Pour
Kelig,
Selon la légende, désireux d’acquérir la
connaissance, le messager plongea entièrement son visage dans le puits des
images.
C’était par une nuit où la lune était à
son périgée.
Le puits que l’on s’obstinait à nommer
ainsi par respect des traditions n’était pas une excavation
profonde au-dessus de laquelle il eût été difficile de se pencher ;
non, c’était au milieu d’un petit jardin laissé à l’abandon une simple vasque
de marbre blanc où croupissait un fond d’eau verdâtre.
Vainquant sa répugnance, tant son reflet
dans l’eau était trouble, le messager y plongea son visage ; et pour les
quelques villageois que la rumeur de cette folie avait amenés là, ce fut un
curieux spectacle que de voir dans la lumière blafarde de la lune le messager
relever au bout d’un moment sa tête dégoulinante d’eau.
Aussitôt ces quelques témoins reculèrent
effrayés, tant l’homme ne se ressemblait plus : ses traits s’étaient
parcheminés et ses cheveux avaient blanchi ; il regardait autour de lui
comme un fou, les yeux agrandis par l’horreur ; il titubait plus qu’il ne
marchait, il semblait avoir perdu tout à fait la raison. Dégoûté, un
vieillard dit qu’on l’avait bien prévenu et s’en alla en haussant les épaules.
Celui qui avait été un jeune messager
promis à un bel avenir et n’était plus qu’une pauvre chose hébétée d’un coup
s’écroula dans l’herbe humide et par un reste de superstition tous se
penchèrent pour entendre ses derniers mots : peut-être avait-il malgré
tout au prix de sa vie acquis la connaissance ?
Hélas, ils ne comprirent rien à ce qu’il
marmonna dans une langue qui n’était pas la leur et ne ressemblait à aucune de
celles qu’ils connaissaient ; mais tous virent les larmes rouge vif qui s’écoulèrent lentement de
ses yeux, quand il rendit son ultime souffle.