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Jimmy Poussière
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Quand je suis rentré, ma femme était une nouvelle fois accroupie aux
pieds de son amant, dont je pouvais admirer le corps glabre et la position
hiératique. Nus tous les deux, nudité banale. Tout était silencieux, comme dans
un temple déserté. La pendule détraquée du salon ne ponctuait plus les
secondes. Un semblant d’éternité… Comme je n’ignorais pas que pendant que je me
tuais au travail, afin d’éviter la faillite de mon entreprise, ils passaient
leurs journées à composer toutes sortes de tableaux vivants, ne voulant
pas les importuner, je suis passé dans la cuisine et me suis servi un verre
d’eau, avec lequel j’ai avalé une des pilules que m’avait vendues le petit
dealer aveugle qui vivait dans ma cage d’escalier. J’en étais déjà à ma
cinquième pilule, j’avais payé le prix fort, mais le sentiment de bien-être
était tout relatif et le monde qui m’entourait, où je me débattais, me semblait
toujours aussi atroce. La douleur seule était atténuée. La souffrance semblait
sans rémission. Pas d’alternative. Nul autre monde pour toi. Seulement la
réalité dans toute sa laideur mesquine… Las, un instant, j’ai fermé les yeux.
Une plage, l’été, ma femme, moi… Ce n’était pas vrai. Ce n’était qu’une
illusion, provoquée par les pilules. Une pauvre contrefaçon, un cliché… Les
cachets du bonheur, comme les appelait le petit dealer en riant affreusement,
ne fonctionnaient pas avec moi. Quand j’ai rouvert les yeux, ma femme,
vaguement rhabillée pour l’occasion, une feuille de vigne sur le pubis, se
tenait près de moi et m’a demandé si cela ne me dérangeait pas que Georges
reste pour la soirée. Je ne suis pas un Othello, ai-je dit, sans écouter la
rapide description qu’elle me faisait du tableau à venir, qui devait être une
fois encore une pietà. Il est vrai
que cela m’était parfaitement indifférent. Je jugeais leurs habitudes un peu
morbides, c’est tout. À ma connaissance, il n’était nullement question de
sexualité ou de plaisir. Ma femme jugeait toute forme de pénétration dégradante
et son amant, galeriste en vue, était notoirement impuissant. Ce n’était que
gestes, postures, tout un cérémonial, dont je ne pouvais même pas être jaloux.
La jalousie, ses tourments, cette plaie que l’on irrite à plaisir, c’eût été
une forme de promotion, un espoir de changement… Il n’y avait pas de
changement. Je ne pouvais rien du tout… Et je devais seulement, l’affreux mot,
me résigner, accepter que ce qui était dégradé, se dégraderait encore et
toujours…
Le texte est extrait du recueil auto-édité Les heures captives (décembre 2012)
Frédéric Perrot